« Il ne faut pas entretenir l’illusion que l’Occident est un paradis terrestre »

Laurent Dandrieu, Église et immigration : le grand malaise. Le pape et le suicide de la civilisation européenne, Paris : Presses de la Renaissance, 2017, 309 p, 17,90€.

Le titre de la présente recension est emprunté au cardinal Robert Sarah cité page 274. Le lecteur pourrait retenir de l’ouvrage de Laurent Dandrieu qu’il porte un sous-titre « décliniste », « Le suicide de la civilisation européenne ». De même, les références positives de l’auteur sont très souvent « conservatrices » et parfois identitaires, telles les Éditions de l’Homme Nouveau (p 41), Michel Onfray (p 91), Philippe Murray (p 94), le père François Jourdan (p 109, 110, 122), Jean-Yves Le Gallou (p 165, 167, 169), Renaud Camus (p 280), Philippe de Villiers (p 288), La Nef (p 291). Mais ne retenir que cela ne rendrait pas compte du travail de l’auteur et de la réflexion qu’il engendre.

Dans une interview à Famille chrétienne (Laurent Dandrieu et le cardinal Philippe Barbarin, « Le dilemme des chrétiens face à l’immigration », n° 2042, 4-10 mars 2017, p 26-31), l’auteur déclare « L’identité nationale est sous pression, voire carrément expulsée ». Or, cette peur identitaire est la même que celle qui était exprimée au XVIIIe siècle avec l’entrée sur le territoire de la métropole de Noirs venant des « colonies », domestiques accompagnant le plus souvent un maître. Érick Noël (Être noir en France au XVIIIe siècle, Paris, Tallandier, 2006, 320 p) l’écrit en soulignant (p 77 et 80 du livre d’Érick Noël) notamment la crainte des autorités devant des mariages formant « des unions mixtes ». L’article interdisant ces mariages, dans l’ordonnance du 7 août 1777 sur la police des Noirs, a été combattu par l’Église (ici l’épiscopat français) puis rejeté par le parlement de Paris. C’est dire la permanence d’une parole d’inclusion ! Nous pouvons également rappeler que nulle peine n’est prévue contre les célébrants contrevenant à la déclaration du conseil d’État du 5 avril 1778 interdisant finalement ces mariages alors que les notaires devant lesquels seraient passés des contrats de mariage eux, seraient punis par une amende (Érick Noël, p 90-91).

En réalité, Laurent Dandrieu situe parfaitement la question page 80 : « D’un côté suspicions et préjugés, de l’autre un commandement biblique : poser le problème en ces termes, c’est interdire le débat ». Or, il s’agit bien de ne pas confondre une question politique (de quelle manière un pays peut-il accueillir des migrants, avec quelles infrastructures, quels moyens financiers, quels rapports avec la population…) et le devoir du chrétien envers le prochain qu’il faut aimer comme soi-même (Matt 22, 37-39 : « Jésus lui répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même »). Il s’agit de conformer, avec nos forces humaines, l’une à l’autre ces deux données.

Laurent Dandrieu rappelle avec justesse que tout ce que dit le pape n’est pas du magistère et que cette parole pontificale peut avoir plusieurs niveaux d’importance, quelque soit le pape. Il cite même (p 245) la Congrégation pour la doctrine de la foi « Dans ce domaine des interventions d’ordre prudentiel, il est arrivé que des documents magistériels ne soient pas exempts de déficiences » (instruction Donum veritatis, 24 mai 1990). Il met en filigrane l’idée que l’Église a toujours permis aux États de se défendre en cas de besoin, ce qui transparait de l’interview du cardinal Sarah cité page 274.

Au final, il s’agit d’un travail finement nourri de références nombreuses. Ce livre est un outil pour tous ceux qui ont à réfléchir à la question des migrations.

Luc-André Biarnais
archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun

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