Études, revue de culture contemporaine, novembre 2017

Parmi les périodiques, il est des numéros plus intéressants que d’autres. C’est le cas de celui de novembre 2017 de la revue Études qui, comme de coutume, fait le compte-rendu des expositions en cours, films, et livres récemment sortis.

Europe, France et géopolitique

Plusieurs articles ont retenu notre attention. Les trois premiers traitent de géopolitique. Le père François Euvé, sj, dans son éditorial (« de Pétrograd à Bruxelles », p 4-6) part des aspirations démocratiques au moment de la révolution bolchevique de 1917 et du désir de réconciliation aujourd’hui : (p 6) « Si les universités médiévales ont été le creuset de nouvelles visions du monde et de l’Homme, c’est par confrontation avec les pensées juives et musulmanes. Tout cela ne fut pas sans tension ni violence […] De ce point de vue, l’expérience russe est instructive. La ‘réconciliation’ espérée […] suppose une lecture de l’Histoire qui se rende sensible à une pluralité d’apports. Il n’y a de véritable réconciliation que dans la confrontation à la vérité historique ».

Thomas Gomart, dans « Vers un retour de la France à la puissance militaire ? » (p 7-17) affirme (p 8) que l’émergence du « djihadisme » et de la compétition entre puissances relègue vers le passé l’époque où la France a converti sa puissance en influence. L’ajustement politico-diplomatique de la France « va principalement dépendre des choix capacitaires fait par l’Allemagne et le Royaume-Uni ».

Cependant, cette importance des partenaires européens doit être analysée à l’aune de la situation actuelle. Frédéric Lazorthes dans « L’Europe face à la crise des modèles nationaux » (p 33-34) considère que (p 34) celle « du modèle espagnol comme la nouvelle incertitude allemande sont deux symptômes de l’incapacité dangereuse des nations européennes à se gouverner démocratiquement ».

La santé au travail

Catherine Mieg dans « Comment tenir au travail, Pourquoi lâcher ? » (p 47-58) fait le point (p 48) sur les notions de burn out, de surmenage, d’épuisement et d’hyperactivité dans le milieu professionnel. Elle considère d’abord « Le burn out comme pathologie de l’engagement ». Pour elle, « l’entreprise […] propose une course en avant illimitée qui pousse les individus à se dépasser, une idéologie de la performance autour du chiffre (p 49) qui étouffe le cœur du métier et une réactivité en continu au détriment de la réflexion et de la prise de recul ».

Le « culte de la performance et de l’initiative » (p 49) permet la mise en concurrence des salariés. Or (p 50) « Ce sont les répercussions de l’organisation du travail sur le fonctionnement psychique qui provoquent le burn out ». En effet, « la pénibilité d’un travail est largement dépendante de l’effort consenti pour agir. Dit autrement, si je comprends quelle valeur je crée, à quoi sert mon travail, alors je peux aller très loin dans la charge de travail et le temps que j’y consacre, sans souffrir ou tomber malade ».

(p 52) « La qualité du travail vient de l’investissement subjectif des individus et, réciproquement, l’épanouissement d’un sujet (p 53) au travail vient de la qualité de ce qu’il va produire ». Cela signifie que (p 50) « La perte de sens ou le non-sens, par exemple du fait d’injonctions paradoxales ou du sentiment d’inutilité des efforts fournis, est un risque majeur pour la santé du sujet au travail ». Un grand écart (p 54) entre les valeurs personnelles du salarié et les orientations de l’entreprise peut provoquer, à terme, un effondrement personnel. En effet, (p 52) « Les contradictions entre les critères de rentabilité économique et les critères de qualité détériorent le sens attribué à l’activité ».

Catherine Mieg évoque (p 53) la place du corps qui est aussi un point d’attention sur lequel s’appuie Étienne Grieu dans « Pertinence et impertinence de l’Église » (p 73, voir plus loin).

Aujourd’hui, (p 55) « L’organisation du travail est incriminée à travers les méthodes de management et d’évaluation [que l’entreprise] a mises en place depuis une trentaine d’années ». L’évaluation individualisée de la performance est contestable car elle repose sur une mesure quantifiée des résultats et des objectifs individuels. Elle implique une contradiction car « il n’est pas possible d’être compétent seul ». Or, l’évaluation individuelle incite à la concurrence et détruit « les collectifs de travail » en isolant les personnes.

Catherine Mieg (p 56) conclut sur deux points :

  • La nécessité de former les « managers aux sciences du travail » actuellement absentes des cursus de formation.

  • « Comment intégrer dans les modèles de business la valeur immatérielle que représente l’engagement subjectif des salariés ? Quel outil de gestion mettre en place pour suivre et évaluer la productivité, en intégrant la qualité des ressources humaines mobilisées et la stabilité des équipes ? »

Ecclésiologie, écologie et philosophie

Étienne Grieu est l’auteur de « Pertinence et impertinence de l’Église : un regard sur la situation en France » (p 71-82). Selon lui (p 72), il est nécessaire que l’Église réagisse aux questions de société « avec intelligence et finesse » en conduisant au « souci de la dignité de l’humanité et de la création ». En effet, « un chrétien […] est conscient d’être traversé à l’intime de lui-même par un combat spirituel qui l’empêche de désigner le mal comme une pure extériorité ». En revanche (p 73), l’Église ne doit pas s’enfermer dans un « discours sur le mode de la protestation ou de la dénonciation ». Elle « ne peut, lorsqu’elle s’exprime, se contenter du registre religieux. Elle doit construire un langage de la foi, lequel passe aussi par le corps – c’est-à-dire par des gestes, des attitudes, des manières d’être – jusqu’à atteindre une dimension sociale. »

Etienne Grieu, s’appuyant sur le concile Vatican II souligne (p 79) que « l’accueil de la Révélation fait partie de la Révélation ».

Dans « le verdissement des Églises, c’est maintenant ! » (p 57-58), Dalibord Frioux, non sans humour, fait le tour des points touchant au label Église verte. Cette chronique est destinée aux délégués diocésains à l’écologie, aux responsables de maisons paroissiales, et aux curés.

Camille de Villeneuve a écrit un article intitulé « Michel Foucault et le Christianisme » (p 59-68). Elle étudie Michel Foucault dans la période 1980-1984, c’est-à-dire lors de ses dernières années et après son analyse de la révolution islamique en Iran. La contribution de Camille de Villeneuve montre l’évolution des réflexions du philosophe notamment dans le continuum entre christianisme et modernité. Les dernières pages (p 67-68) évoquent l’amitié entre Michel Foucault et Maurice Clavel et traitent de l’altérité.

Luc-André Biarnais
archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun

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