Robert Muchembled, La civilisation des odeurs (XVIe – début XIXe siècle), Paris : Les belles lettres, 2017, 269 p., 25,50 €.
Benoîte Rencurel, dont le sanctuaire Notre-Dame-du-Laus commémore le tricentenaire de la mort en 2018, décrit « les bonnes odeurs » qui accompagnent les apparitions de la Vierge Marie. L’ouvrage de Robert Muchembled, La civilisation des odeurs, permet de mettre en perspective la signification qu’attribuaient au sens de l’odorat les contemporains de Benoîte. Deux parties ont un intérêt particulier pour l’étude des parfums du Laus : le chapitre 4 (p. 97-134) traite des « odeurs de femmes » et le 5 de « l’haleine du diable » (p. 135-160).
Robert Muchembled est spécialiste de la sociologie historique. Il a déjà travaillé sur l’histoire des femmes, la violence et la corruption. Selon lui, l’odorat est le seul sens qui se développe grâce aux apports culturels : le dégoût suscité par certaines odeurs s’acquiert au fil des expériences, et diffère selon les époques et les lieux. L’histoire des parfums est aussi intimement liée à celle de la peste, ceux-ci étant vus comme un moyen efficace de lutter contre les « effluves pestilentielles ». Sur ce sujet, vous pouvez consulter l’article du docteur Jean Acotto, « Parfums et parfumeurs durant la peste de 1630 dans le Haut-Dauphiné », paru dans le Bulletin de la société d’études des Hautes-Alpes en 2012, ainsi que la postface qu’il a donnée pour la plaquette numérique Sébastien et Roch, deux saints populaires dans les Hautes-Alpes, publiée en 2015.
L’idée que la femme dégage une mauvaise odeur vient de l’Antiquité et perdure dans la civilisation chrétienne. Cette fétidité est accentuée pendant les règles, les périodes de maladie, la vieillesse. Les mauvaises odeurs sont liées au péché (p. 124) : « Le Diable pue atrocement, ainsi que tous ceux qui se donnent à lui, au contraire des meilleurs chrétiens, dotés après leur mort d’une suave odeur de sainteté. Aux XVIe et XVIIe siècles, la foi, en quelque sorte, se repère aux senteurs agréables qu’elle dégage, tandis que les mauvais croyants souillent leur environnement, tant physiquement que moralement. L’odorat convoie de plus en plus un message très tranché différenciant le bien du mal. »
Cela se retrouve dans les manuscrits rédigés à Notre-Dame-du-Laus, qui retracent les contacts de Benoîte Rencurel avec la Vierge Marie. Après une série d’apparitions dans le Vallon des fours entre mai et août 1664, Marie attire Benoîte à Pindreau et lui indique qu’elle la verra désormais à la chapelle de Bon-Rencontre au Laus, qu’elle reconnaîtra grâce aux parfums qui s’en échappent. Dès ce moment-là, Benoîte exhale de bonnes odeurs, de son corps, de ses vêtements et de son haleine. A contrario, des puanteurs insoutenables lui signalent la présence de démons. À partir de 1666, et encore aujourd’hui, certains pèlerins qui visitent le Laus sentent des parfums agréables, qui leur apportent joie et réconfort.
René Humetz, dans son Enquête sur les parfums de Notre-Dame du Laus, parue en 2008, rapporte les propos du juge François Grimaud, qui le premier interroge Benoîte sur l’identité de « la belle dame » qui lui apparaît, et qui témoigne avoir lui aussi senti ces odeurs (p. 89) : « je sentis une odeur si suave pendant un demi quart d’heure que, de ma vie, je n’ai rien senti de pareil, qui me causa une satisfaction si grande que j’étais hors de moi-même ».
Hélène Biarnais bibliothécaire du diocèse de Gap et d'Embrun