Mathieu Eychenne, Astrid Meier, Élodie Vigouroux, Le Waqf de la mosquée des Omeyyades de Damas, le manuscrit ottoman d’un inventaire mamelouk établi en 816/1419, Beyrouth, Damas : Presses de l’IFPO, 2018, 741 p., [75 €].
Note : Pour la présente recension nous avons utilisé le calendrier grégorien.
La grande mosquée dite des Omeyyades à Damas est l’un des monuments de l’art islamique le plus connu au monde. Elle conserve les reliques de saint Jean-Baptiste. L’ouvrage objet de la présente recension publie un inventaire des propriétés appartenant à la mosquée. Il est réalisé après un conflit civil entre le sultan et ses opposants (1389-1391) puis la brève occupation destructrice par les troupes du chef turco-mongol Tamerlan (1400-1401) qui rançonnent les biens de la mosquée.
Les dévastations par l’incendie ont détruit l’essentiel de l’édifice. En 1412-1413 le sultan de l’époque mène une campagne de restauration. Le document publié, analysé et commenté dresse l’état des biens de la mosquée afin de financer les travaux. Nous n’entrerons pas ici dans les questions du droit de la propriété religieuse dans la société damascène. En revanche, le travail scientifique des trois auteurs révèle, à travers cet inventaire, la présence vivante de communautés chrétiennes et juives dans une société musulmane.
Des communautés juives
À Gawbar (p 279 et 410) la communauté juive est présente depuis l’Antiquté et la localité est un lieu de pèlerinage à la grotte où le prophète Élie (1 Rois 19, 8-10) se serait rendu : il est intéressant de remarquer que cet épisode n’est pas relaté par le coran. Le village possède une mosquée et une synagogue. En 1366, le vice-sultan y mène des exactions en raison du vin, qui peut être kasher mais qui est illicite dans la loi islamique, trouvé dans un verger. 60 familles juives vivent à Gawbar au début du XVIe siècle et ont « une magnifique synagogue ». Enfin, (p 369) le verger d’Al Afif le juif est une terre appartenant à ce village.
De même qu’à Gawbar, la ville de Deraa (p 407) abritait une communauté juive. À Damas (p 336), la population juive se trouve dans le quartier de la rue droite. Au XIIe siècle, (p 408 et 430) elle compte 3000 personnes avec une synagogue. Le cimetière est localisé au sud de la ville, au nord de Fidaya. Le nom d’un rabbin est connu dans les années 1238-1244.
Des chrétiens présents depuis l’Antiquité
Dans le quartier de la rue droite de Damas (p 336-337 et 473) se trouve le suq Kanisat Maryam soit le marché de l’église de Marie. Cette église, de rite melkite, est le principal lieu de culte chrétien de la ville. Elle aurait été détruite en 1260 « en représailles au soutien supposé » aux troupes mongoles… mais aucun texte ne corrobore cette destruction. Au XIIe siècle (p 430), sa décoration iconographique est soulignée. Cette église se trouvait sur le lieu de l’actuel patriarcat grec-orthodoxe.
L’église des jacobites (p 403) se trouve alors dans le Darb al Da’wa – rue de l’appel.
À l’est de Bab Touma (p 480) le moulin du passage couvert est situé près d’une mosquée bâtie sur l’emplacement d’une ancienne église avant même le XIIe siècle. Le même phénomène se retrouve à Bayt Lihya (p 387), village aujourd’hui absorbé par la croissance urbaine de Damas où se « trouvait anciennement une église qui fut transformée en mosquée ».
À Busr, (p 388) « à l’époque protobyzantine, ce village comportait notamment une église dédiée à saint Serge, bâtie en 518-519, et un monastère […]. La population du village de Busr fut massacrée par les croisés » en 1119-1120. Darrayya al Kubra (p 405), quant à lui, est un village antique de la Ghouta abritant des monastères à l’époque protobyzantine. « Il fut pris par les Francs et incendié » en 1148 durant la deuxième croisade.
Deraa (p 407) fut le siège d’un évêché. Au début du XVIe siècle (p 437), le village de Manin est majoritairement chrétien. Il est situé à 1200 m d’altitude sur l’Anti-Liban à 20 kilomètres au nord de Damas et la source du Barada se trouve sur son territoire. De même, (p 411) Gihab dans le Hauran est majoritairement chrétien au début du XXe siècle. Le village de Mahagga (p 435), lui, abritait un couvent monophysite au VIe siècle et est peuplé de chrétiens et de musulmans au XIXe siècle.
Dans le village de Muqra (p 456) se trouvaient des couvents chrétiens. Il est inhabité depuis le XIIIe siècle.
Le waqf al rabban, (p 484) c’est-à-dire la fondation des moines, est une terre « constituée en waqf au profit des moines chrétiens » à l’est de Damas. Il est répertorié dans les biens de la mosquée des Omeyyades.
Enfin, la toponymie elle-même souligne parfois l’histoire chrétienne. Ainsi, (p 384) Bab Touma (la porte de Thomas) à l’entrée de la ville de Damas. Ce général Thomas était gendre de l’empereur byzantin Heraclius au VIIe siècle. Le verger des Ghassanides (p 391) « tient sans doute son nom de la tribu arabe chrétienne des Ghassanides connue dès l’Antiquité ». Quant au nom du verger de Sahyun (p 398), il fait probablement référence à une place forte prise aux croisés par les Mamelouks en 1287. De son côté, (p 416) le Jardin de Simon le pur porte très probablement un nom local de l’apôtre Pierre.
Luc-André Biarnais archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun