Léonor de Récondo, Manifesto, Paris : Sabine Wespieser, 2019, 181 p., 18 €.
Ce manifeste est celui de la liberté humaine face au destin pour en faire une destinée. Car, à l’ultime, « pour mourir libre, il faut vivre libre » (p. 10). Léonor De Récondo a déjà écrit un premier roman autobiographique Rêves oubliés (2012). Ici, avec sa mère Cécile, à l’hôpital de la Salpêtrière, l’auteur accompagne son père Félix vers la mort. La mémoire de Félix et ses facultés mentales se sont éteintes, mais n’est-il pas d’origine espagnole, immigré dans les Landes ? Alors l’auteur, par affection filiale, va imaginer une « ultime conversation entre Félix et Ernest Hemingway » (p. 10), cet amoureux de l’Espagne. Face à la mort, ils pourront se stimuler par leur vitalité et leur créativité respectives. Ils s’étaient rencontrés autrefois à Pampelune, ce haut-lieu de la tauromachie où Hemingway – Ernesto ici – aimait tant venir. Dès lors, en conversant fraternellement, Félix et Ernesto seront « en vie » (p. 13).
Les thèmes chers à Hemingway affleurent avec beaucoup d’habileté littéraire et de pertinence. Les lecteurs d’Hemingway reconnaissent avec plaisir ses insistances : le goût du contact avec les éléments de la nature (de son côté, Félix est peintre et sculpteur), la fréquentation des femmes et l’amour, les réflexions sur le temps et l’éternité (comme dans Pour qui sonne le Glas), sur l’affrontement à la guerre, sur l’excès (p. 89), sur la mort et le destin (comme dans L’Adieu aux armes, Le Glas). Félix est intrigué par le suicide d’Ernesto. Il est rappelé qu’Ernesto a été grièvement blessé à la Première Guerre mondiale (cf. L’Adieu aux armes), et les séquelles de ce traumatisme l’empêchent d’éteindre la lumière, quand il s’endort, par peur de voir son esprit s’enténébrer (p. 143).
Ernesto a cette parole adressée à Félix : « tu parles de l’océan comme d’une femme ». Cette expression est celle du vieux pêcheur dans Le Vieil homme et la mer. Félix a un oncle curé qui vient rendre visite à la famille émigrée dans les Landes et célèbre la messe à la maison. À cette occasion l’on met « les habits du dimanche » (p.156). Félix se fait aussi un bonheur de sculpter amoureusement un très beau violon pour sa fille Léonor, car la musique ouvre sur les horizons d’une beauté infinie. La chambre d’hôpital, avec Félix et son épouse Cécile, devient une chambre nuptiale aux yeux de leur fille Léonor. La fragilité ultime emporte Félix, mais « la vie, la beauté, et l’art » permettent ainsi de transcender « la souffrance, l’abîme et la mort » (p. 174).
Tout au long de ces conversations improbables entre Félix et Ernesto, et tout au long du soutien si attentif de Cécile et de Léonor à l’hôpital envers Félix, l’expression délicate et la qualité de l’écriture si évocatrice de ce roman s’accompagnent d’une riche sensibilité. Le lecteur est entraîné à méditer sur la vie confrontée au passage par la mort, sur la destinée humaine par rapport à l’au-delà, et sur les liens affectifs qui se resserrent quand les êtres se mobilisent pour une même lutte, pour donner du sens.
Père Pierre Fournier diocèse de Gap et d'Embrun 1948 - 2021