Bulletin de littérature ecclésiastique, n° CXV/4, octobre-décembre 2014, Toulouse : Institut catholique de Toulouse, Artège presse, 164 p. 22 €.
L’essentiel de ce numéro du Bulletin de littérature ecclésiastique est consacré à la Seconde Guerre mondiale et aux différentes formes de résistance qui se sont développées alors. Depuis, Bruno Béthouart a publié « l’Église de France au cœur de la tourmente de 1940 à 1944 » (Archives de l’Église de France, 2018, n° 90, p 42-46, également disponible à la médiathèque Mgr Depéry). Nous pourrions également évoquer ici la figure de Marcel Arnaud dans les Hautes-Alpes.
Patrick Cabanel, dans son article intitulé « Quelques réflexions à partir du protestantisme français des années 1940 » (p 9-25), part de l’histoire du Chambon-sur-Lignon. Nous avons traité ici déjà de ce sujet sous la plume du père Pierre Fournier. Le moment fondateur (p 9, 12) a lieu le 23 juin 1940. Au temple, les pasteurs André Trocmé et Édouard Theis évoquent « Une résistance morale ». Cet article met opportunément en lumière la figure d’Yvonne Oddon (p 11). Celle-ci, native de Gap le 18 juin 1902, est protestante et sa famille est originaire de la Drôme. Elle est bibliothécaire au Musée de l’homme et c’est elle qui suggère le titre du « tract clandestin Résistance (premier numéro le 15 décembre 1940) ». Patrick Cabanel rappelle aussi (p 22) la résistance spirituelle « des ‘laïques’, au sens très particulier que ce terme a revêtu sous la Troisième République […] Ils forment du reste un groupe important des Justes français, un temps négligé par une mémoire nationale qui a, un peu curieusement, préféré honorer un clergé catholique (un Mgr Saliège) et les populations protestantes et leurs pasteurs (un Chambon-sur-Lignon) ».
L’opération T 4 (p 15), c’est-à-dire « le meurtre scientifique de certains ‘incurables’ », pour laquelle Karl Barth annonce 80 000 victimes, est aussi l’un des sujets de Patrick Cabanel. L’opposition publique de Mgr Clemens Von Galen, évêque de Münster, dans une homélie du 3 août 1941 est évoquée ici. Elle l’est également dans un article d’André Trannoy, « La suppression des ‘existences superflues’ sous le IIIe Reich » (Études, juillet-août 1990, p 41-50), aussi présent à la médiathèque Mgr Depéry.
Sylvie Bernay publie « La résistance spirituelle catholique dans la France occupée » (p 27-46). Elle montre (p 27-30) comment théologiens, philosophes, écrivains catholiques ont « étudié les théoriciens du IIIe Reich et détecté les germes de corruption ». Jacques Maritain (auteur d’À travers le désastre : voir l’article de Michel Fourcade dans Église dans les Hautes-Alpes, janvier 2017, n° 128, p 14) et le père Henri de Lubac, alors à l’école des cadres d’Uriage, étudient « les similitudes et les dissemblances du marxisme et du nazisme ». Henri de Lubac considère que « le nazisme corrompt le christianisme en le paganisant ». La résistance spirituelle ne peut être que non-violente en raison du verset 52 du chapitre 26 de l’évangile selon saint Matthieu : « remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée ». L’occupant allemand a d’emblée interdit la publication des trois encycliques du pape Pie XI qui dénoncent la perversion du communisme athée (Divini Redemptori, 19 mars 1937), l’idôlatrie du sang et de la race du nazisme (Mit Brennender Sorge, 14 mars 1937) et le laïcisme persécuteur au Mexique (Firmisimam Constantiam, 28 mars 1937).
La doctrine pontificale (p 32) est alors de « résister aux idéologies perverses et aux lois injustes sans se révolter contre l’autorité légitime ». Dans ce cadre, Mgr Saliège (p 33) soutient le recteur de l’Institut catholique de Toulouse, Mgr Bruno de Solages, qui aide Edmond Michelet à protéger les Allemands fuyant le régime nazi. De son côté, le cardinal Suhard (p 37-38) pour maintenir l’élan missionnaire, crée le séminaire de la mission de France à Lisieux en 1941, la mission de Paris en 1943 (p 38) : « 25 prêtres volontaires suivent les 800 000 travailleurs forcés en Allemagne ». Sylvie Bernay souligne (p 28) que les martyrs chrétiens du travail requis ne sont presque jamais évoqués à la Libération.
Le processus (p 41-42) de dénonciation par les évêques des arrestations des juifs est montré, avec l’intervention du nonce en août 1942, puis la rédaction de la lettre pastorale de Mgr Jules-Géraud Saliège « lue le dimanche 23 août en chaire ». L’archevêque de Toulouse a-t-il attendu l’assentiment du nonce, comme le laisse entendre le père Henri de Lubac ?
Enfin (p 28), chez les juifs, « maintenir coûte que coûte le culte juif et sauver des vies sont désormais définis comme des actes de résistance spirituelle car ils ont maintenu l’existence du judaïsme voué à l’extermination ».
Les recensions occupent les pages 127 à 146 de ce Bulletin. Jean-Claude Meyer présente (p 128-140) l’ouvrage de Bernard Barbiche et Christian Sorrel, La France et le concile Vatican II (Bruxelles : Peter Lang, 2013, 258 p). Il souligne « l’action singulière du philosophe Jean Guitton ». Celui-ci est « auditeur laïque, grand ami de Paul VI, il prononça devant les Pères un discours sur l’œcuménisme et il fut à plusieurs occasions le porte-parole du pape devant l’opinion catholique ». De son côté, l’abbé Jean-François Galinier Pallerola, archiviste du diocèse de Toulouse, en rendant compte (p 132-133) du livre Le catholicisme en chantiers (France XIXe – XXe siècles) sous la direction de Bruno Dumons et de Christian Sorrel (Presses universitaires de Rennes, 2013, 282 p) souligne que la recherche, notamment sur le concile Vatican II est « dépendante de l’ouverture des archives diocésaines et de celles des congrégations religieuses » ce qui pose la question en effet de la participation de l’Église à la recherche historique tant au niveau local que national.
Luc-André Biarnais archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun