Jean-Claude Perrier, Les mystères de Saint-Exupéry : enquête littéraire. – 1ère éd : Stock, 2009. – pour la présente édition augmentée : La Table ronde, 2017, 200 p., 7,10 €.
Le livre de Jean-Claude Perrier se lit facilement. L’auteur le décrit comme un ouvrage d’archéologie littéraire (p 17). Il est aussi une nouvelle démonstration de l’intérêt porté à l’écrivain et aviateur Antoine de Saint-Exupéry, près de 75 ans après sa mort. Nous avons publié un article bibliographique en juillet 2014 et nous avons traité de la manière dont l’œuvre de Saint-Exupéry évoque la spiritualité chrétienne dans celui-ci qui date de 2013.
Une biographie littéraire
En réalité, l’aura de Saint-Exupéry a été entretenue après la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas, notamment (p 12), avec « la publication en 1948 de Citadelle, considéré comme son testament spirituel et devenu ‘un must dans certains cercles spiritualiste’ » selon la formule de François Moreau de Balasy. Cela l’est aussi (p 69) avec la biographie publiée par Pierre Chevrier en 1949. L’auteur est, en fait, Nelly de Vogüe, qui fut également l’une des maîtresses de l’écrivain et aviateur. C’est encore sous son impulsion (p 142) que Gallimard édite en 1953 des notes sous le titre Carnets. Elles le sont de nouveau en 1975 (p 144), dans l’ordre chronologique cette fois.
Quant à l’œuvre la plus connue de Saint-Exupéry (p 103), Le Petit prince, elle semble naître dès 1939. Elle devait être diffusée par Mame, éditeur à Tours. Mais le bombardement de cette ville en 1940 et l’exil de Saint-Exupéry aux États-Unis provoquent l’annulation de ce premier projet. Le Petit Prince paraîtra finalement en 1943.
Saint-Exupéry dans la guerre
La Seconde Guerre mondiale est marquée, pour Saint-Exupéry, par l’exil. En outre, non-gaulliste, il est en butte à des attaques. C’est le cas, par exemple, (p 119) de « Jacques Maritain, [qui] exprime son désaccord avec Saint-Exupéry, sur de nombreux points dès le 19 décembre 1942 dans Pour la victoire, l’hebdomadaire des Français d’Amérique ». Quant à André Breton (p 125), en 1942, il « aurait mis en doute la position ‘religieuse, sociale, politique et philosophique’ de Saint-Exupéry ».
L’opposition au général de Gaulle n’empêche pas celui-ci de faire (p 131) « célébrer le 31 juillet 1945, soit un an jour pour jour après la disparition en mer du commandant Saint-Exupéry, un hommage à sa mémoire dans la cathédrale de Strasbourg ».
Une instruction chrétienne
La difficulté d’adaptation d’Antoine aux établissements scolaires qu’il fréquente est soulignée pages 29 et 30. Quand, à la déclaration de la guerre en 1914, « Marie de Saint-Exupéry, femme dotée d’une énergie exceptionnelle, décide de créer en gare d’Ambérieu une infirmerie militaire, ses deux fils, Antoine et François, son cadet de deux ans, sont placés comme pensionnaires au collège jésuite de Notre-Dame de Mongré, à Villefranche-sur-Saône. Ils ne s’y plaisent pas. Après un bref passage au Mans, leur mère les envoie, en 1915, pensionnaires toujours, au collège marianiste de la villa Saint-Jean à Fribourg, en Suisse. C’est un établissement confortable, aux méthodes pédagogiques novatrices, qui entretient d’étroites relations avec le collège Stanislas, à Paris. La clientèle y est plutôt huppée ».
Jean-Claude Perrier rappelle (p 50) que « Marie […] était partie s’installer en 1909 au Mans avec ses enfants. Ils y demeurent jusqu’en 1914. Antoine est élève chez les jésuites de Notre-Dame de Sainte-Croix, où il ne se plait pas ».
Avec Honoré d’Estienne d’Orves (p 55), Antoine de Saint-Exupéry fait partie d’un cercle aristocratique et « bohème chic », le groupe Bossuet, du nom de l’école catholique éponyme, près du jardin du Luxembourg, où plusieurs d’entre eux avaient été pensionnaires. C’est le cas pour Saint-Exupéry de 1918 à 1920, comme le souligne cet établissement sur son site internet.
Recherche spirituelle
Saint-Exupéry (p 67) épouse civilement et religieusement Consuelo Suncin Sandoval en 1931, montrant l’une de ses formes d’attachement religieux.
Saint-Exupéry (p 141) « Dans une Note sur Baudelaire, l’un des poètes qu’il vénérait depuis sa jeunesse et qui influença ses propres poèmes […] analyse la notion de salut chez l’auteur des Fleurs du mal et en vient à sa propre quête spirituelle : ‘quand je lis Je cherche une religion, c’est un langage que je cherche et qui me transfigure. Trouver sa vérité, c’est trouver son langage, celui qui fait s’épanouir le plus de soi-même à la conscience’ ».
En publiant (p 148) les troisième et quatrième strophes de Que feriez-vous ? poème de Saint-Exupéry, Jean-Claude Perrier montre ses influences religieuses, notamment par le vocabulaire utilisé :
« Que feriez-vous si la pesanteur n’existait pas ?
Que feriez-vous si l’église [sic] vous canonisait ?
Que feriez-vous dans l’affliction ?
Je prendrai un bâton noueux pour me venger
J’allumerai des incendies
J’aurais très soif. »
Ce livre passionnant s’intéresse moins que d’autres ouvrages biographiques à la vie spirituelle de Saint-Exupéry. Peut-être est-ce là un effet de notre époque…
Luc-André Biarnais archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun