François Cheng, De l’âme : sept lettres à une amie, Paris : Albin Michel, 2016, 155 p.
« Votre phrase : « Sur le tard, je me découvre une âme », je crois l’avoir dite à maintes reprises moi-même. Mais je l’avais aussitôt étouffée en moi, de peur de paraître ridicule, ringard » (p. 10-11), confesse François Cheng dans la première des sept lettres adressées à une amie. Ici publiées bout à bout, ces sept lettres forment comme une longue méditation sur l’âme.
François Cheng réhabilite l’âme humaine. Elle est la marque de l’unicité de chaque être, et le principe de son unité. « De ce vocable désuet » (p. 11), François Cheng en fait le mot le plus pertinent qui soit pour rendre compte de ce qui nous anime et qu’on ne saurait percevoir lorsqu’on ne jure que par l’esprit. « L’esprit raisonne, l’âme résonne », « L’esprit se meut, l’âme s’émeut », « L’esprit communique, l’âme communie », « L’esprit yang « masculin », l’âme yin « féminin » ». (p. 41)
Traitant de l’âme, François Cheng ne peut passer outre les grandes traditions spirituelles, taoïste, hindouiste, bouddhiste, grecque, judaïque, musulmane et chrétienne. Il le fait dans sa troisième lettre en puisant dans le savoir encyclopédique, mais c’est pour s’en excuser sitôt après : « il me fallait ce détour pour dire ma pensée propre ». Et de fait, on apprécie beaucoup plus François Cheng dans l’exposé de cette pensée propre, fruit de sa quête et de son expérience, que dans celui d’un savoir encyclopédique. Même lorsqu’il raconte un événement personnel, une soif extrême dans le grand ouest de la Chine par exemple (p. 99 et suivantes), c’est toujours avec humilité, sensibilité, simplicité, discrétion. On sent la quête sincère, profonde, assidue, continue, d’un homme, d’un poète, d’un chinois devenu français, d’un chrétien (sans jamais le claironner, ni même le mentionner). Et là le livre ne déçoit pas parce qu’il ouvre sur des espaces infinis.
Particulièrement marquant est la sixième lettre élargissant la vision de l’âme d’un destin individuel « à la dimension de la collectivité » (p.123). François Cheng s’attarde alors longuement sur les travaux de Simone Weil qui avait travaillé en 1942 à une nouvelle déclaration des droits de l’homme. Simone Weil s’intéressait aux « besoins de l’Âme » (p. 128), car « l’âme, c’est l’être humain comme ayant une valeur en soi » (p. 139). Là s’enracinent les obligations politiques et sociales à son égard. Ce faisant, François Cheng ouvre au mystère de l’autre.
Avec François Cheng, le lecteur se sent grandit. Avec lui, on est bien loin des discours pieux et bondieusards sur l’âme et qui ont rendu ce « vocable désuet » pour nombre de nos contemporains. Il fait œuvre « d’évangélisation » sans user de ce mot, sans même vouloir évangéliser, tant toute forme de prosélytisme – et chercher à évangéliser peut en être une – est étranger à son âme. Alors que nous avons fêté tous les saints le 1er novembre, prié pour les défunts le 2 novembre, visité les tombes de nos familles, et qu’approche le 11-Novembre dédié à tous les morts pour la France, ce livre sur l’âme humaine peut renouveler notre manière d’en parler en ce XXIe siècle.
Thierry Paillard
Livre disponible à la médiathèque diocésaine : http://catalogue.diocesegap.biblibre.com/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=40127