Xavier Maréchaux, Noces révolutionnaires : le mariage des prêtres en France (1781-1815), Paris : Vendémiaire, 2017, 191 p., 19,50 €.
Le livre de Xavier Maréchaux, riche de sa recherche et de ses analyses, comporte cependant quelques idées exprimées trop rapidement. Par exemple, page 9, l’auteur lie le mariage des prêtres et la crise pédophile. C’est une curieuse manière de reconduire les « violents soupçons » évoqués pages 11-12 et de considérer les relations entre les hommes et les femmes : ces dernières sont-elles toujours des enfants ? Les hommes seraient-ils pervers par nature ? La conférence des évêques de France rappelle d’ailleurs qu’ « il y a davantage de cas de pédophilie chez les hommes mariés que chez les célibataires » (Lutter contre la pédophilie, Montrouge : Bayard, 2017, 72 p, ici p 27).
De même, Xavier Maréchaux (p 55) écrit « Malgré ses nombreuses années passées au sein de l’Église, Valory possédait d’incontestables talents de meneurs d’hommes », comme si un abbé, un curé de paroisse, un aumônier de religieuses ou religieux… ne devait pas avoir cette qualité et cette compétence, que l’Église appelle souvent le charisme !
L’auteur explique (p 189) que « l’encadrement clérical passe ainsi de près d’un prêtre pour 500 habitants en 1789 à un prêtre pour 670 en 1870 » et conclut son paragraphe : « on est loin du renouveau catholique proclamé par de nombreux auteurs » ! Les chiffres de Xavier Maréchaux sont confirmés par les Matériaux Boulard, par exemple. Cependant, les moyens de communication, ceux de subsistance ont changé, expliquant aussi un besoin moindre en encadrement humain. C’est une adaptation comme « la diminution du nombre de paroisses » aux réalités du moment. Cela souligne une question méthodologique : le nombre de prêtres est-il le seul signe de la christianisation d’une génération ? Et que faudrait-il faire alors des « 130 000 religieuses (plus qu’il n’y en eut jamais) et 30 000 religieux qui sont prêtres ou frères », le nombre de religieux atteignant même 37 000 en 1900, selon les chiffres de Gérard Cholvy (Christianisme et Société en France au XIXe siècle, 1790-1914, Paris : Le Seuil, 2001, 203 p, ici p 67 et 147) ?
Malgré ces quelques questions, ce livre montre la complexité du dossier, par exemple l’attachement de la hiérarchie de l’Église constitutionnelle au célibat (p 88-89). Dans un style simple, il explique les bouleversements vécus par l’Église catholique en France durant la Révolution, préparés au cours du XVIIIe siècle et dont certains effets se maintiennent durant la période concordataire. L’essentiel de l’ouvrage se fonde sur les archives de la légation du cardinal Caprara qui prend fin en 1808, tandis que la date choisie pour la fin de l’étude est 1815. Il faut noter (p 139) « qu’il n’existe pas un mais plusieurs types de prêtres mariés. Le prêtre qui se marie avant l’an II n’est pas le même que celui qui est contraint de le faire pendant la déchristianisation ou celui qui convole après l’an II ». Après la légation de Caprara en 1808 (p 151), se réconcilier avec l’Église est toujours possible mais les 320 prêtres concernés ont dû s’adresser à Rome.
Giovanni Battista Caprara (p 128) est né à Bologne en 1733. Il mène différentes missions de 1758 à 1775. Au printemps 1772, il négocie avec le gouvernement anglais l’émancipation des catholiques de Grande Bretagne. De 1775 à 1785, il est nonce à Lucerne, puis à Vienne jusqu’en 1793. Il est alors rappelé à Rome où il se lie d’amitié avec des personnalités favorable à la France révolutionnaire. Il a (p 130) une largeur d’esprit certaine. Rappelé à Rome le 30 mars 1808 (p 149-150), il reste à Paris où il meurt en 1810.
La situation à la fin du XVIIIe siècle
Page 73 est rappelée l’idée que l’historiographie du XIXe siècle insiste sur la primauté de l’engagement politique des prêtres jacobins et que celui-ci est signe avec leur mariage de leur manque de conviction religieuse voire de leur anticléricalisme. Il faut nuancer ce propos déjà exprimé page 50. Les questions du mariage des prêtres (p 11-12) et parfois de l’ordination d’hommes mariés sont traitées d’une manière réprobatrice par l’historiographie ecclésiastique : le mariage « laisse planer sur leur conduite antérieure de violents soupçons ». Le mariage des prêtres (p 13-14) se place dans le débat sur le rôle de la Révolution française dans l’histoire de l’Église : les Lumières ont-elles affaibli l’Église catholique ou bien celle-ci était-elle au sommet de sa puissance en 1789 ? Dans ce dernier cas, le prêtre marié est un « isolé au parcours largement inintelligible ».
À la fin du XVIIIe siècle (p 18), « malgré sa puissance, l’Église est un corps à l’image de la société française d’alors, divisée et figée ». Elle est fracturée par le jansénisme et les différences sociales : les 139 évêques sont tous nobles. Peut-être est-ce cet hermétisme (p 19) du haut clergé qui entraîne la bourgeoisie « vers les offices judiciaires » et les professions libérales ? Le bas clergé est depuis 1750 pénétré par la paysannerie aisée qui, rappelons-le, le domine au XIXe siècle. Les historiens de l’analyse classique (p 62), c’est le cas de Michel Vovelle, inscrivent la déchristianisation dans la longue durée du XVIIIe siècle. Selon l’auteur, (p 64) « Le mouvement déchristianisateur ne peut se comprendre que par la perte d’influence de l’Église catholique ». Cependant, peut-être faut-il réfléchir à ces « prémices » autant en terme d’interactions entre elles qu’en fonction de conséquences de l’une sur l’autre ?
Le clergé séculier (p 16) compte 50 000 membres en 1789 dont l’essentiel est en ministère paroissial. La plupart des prêtres et des séminaristes sont soumis à la lecture quotidienne du bréviaire et au célibat. Le clergé régulier (p 17), quant à lui, compte plus de 60 000 personnes dont 26 500 religieux et 37 000 religieuses. En 1766, une commission des réguliers avait réformé les monastères, notamment en fermant les maisons comptant le moins de membres. Cependant, aux yeux de la société « le clergé régulier demeure fortement contesté. Il sera le premier à faire les frais des réformes religieuses entamées par l’Assemblée nationale en 1790 ». Dès le 28 octobre 1789 (p 37), les vœux solennels sont suspendus. Les ordres religieux sont dissous le 13 février 1790 à l’exception de ceux consacrés à l’enseignement et aux œuvres charitables. Quant à ceux qui « désirent poursuivre leur vie religieuse [ils] sont regroupés dans des couvents, quel que soit leur ordre. Un siècle de propagande contre le clergé régulier trouve ainsi sa conclusion logique ».
Mariage des prêtres et déchristianisation
Xavier Maréchaux propose (p 66) une chronologie stricte de la déchristianisation de l’an II. Elle commence avec le « décret pris par Fouché à l’encontre des prêtres de la Nièvre le 25 septembre 1793 ». Elle se termine avec la chute de Robespierre et « la fin du culte de l’Être suprême dont il avait été l’instigateur » en juillet 1794. Cependant la campagne « pour forcer les prêtres à se marier » déborde jusqu’en janvier 1795 quand « sont levées les dernières mesures contre les prêtres célibataires ».
5918 prêtres (p 10) se sont mariés entre 1791 et 1816 soit plus de 10 % du clergé séculier de 1789 et près d’un quart du clergé jureur de 1791. Avant cette étude, Gérard Cholvy (op. cit., p 13) estimait de 10 à 15 % la proportion de prêtres jureurs qui se sont mariés. Les prêtres mariés (p 12) sont en général des jureurs, c’est-à-dire ayant prêté le serment à la constitution civile du clergé. De ces prêtres (p 146-147), 427 demandent à reprendre leurs fonctions sacerdotales après une séparation ou un veuvage. 280 prêtres sont mariés (p 113-114) dans le département de la Seine soit 5 % du total. Le deuxième département par le nombre (219) est celui de l’Aisne. À Paris, plus de la moitié de ces prêtres sont étrangers à la capitale.
(p 162 et 180) Ce sont 2727 des prêtres mariés qui ont contacté la légation. Certains, qui n’ont pas demandé leur réconciliation, ont consommé ainsi leur rupture avec l’Église. Cette idée est réitérée page 165. En outre (p 163), certains des hommes mariés ont joué un rôle important durant la Révolution. Le nombre de prêtres mariés par département est détaillé page 169. Ils sont 11 dans les Basses-Alpes, 9 dans les Hautes-Alpes, ces deux départements formant le diocèse de Digne en 1801.
Fin 1794 (p 86, 94-95), 4700 prêtres sont mariés sur 5918 entre 1791 et 1816 soit 78 %. 20 000 ont abdiqué leur fonction, leur sacerdoce et parfois le christianisme. Entre 1799 et 1801 malgré l’hostilité du gouvernement parfois, 4% des prêtres mariés convolent et 3% de 1802 à 1816. Treize prêtres le font de 1806 à 1816, « fait d’une minorité en rupture d’Église ».
Les données de Xavier Maréchaux (p 19) lui permettent d’ « avancer l’hypothèse selon laquelle environ deux tiers des prêtres mariés seraient issus de la noblesse ou de la haute et moyenne bourgeoisie et un tiers de l’artisanat et de l’agriculture ». Il conviendrait de s’en assurer. En outre, (p 20) « Les prêtres mariés sont peu loquaces sur les raisons de leur ordination, préférant s’épancher sur les circonstances de leur mariage. Seuls onze des prêtres […] déclarent avoir choisi de leur plein gré d’entrer dans les ordres, tandis que 169 d’entre eux confessent leur peu d’attachement envers leur statut. Parmi ceux-ci, treize font état de leur manque de vocation sans ajouter de détails, d’autres évoquent le besoin d’argent, l’intérêt ou l’ambition […] Ils sont 120 à faire part de pressions familiales […] les prêtres membres de la noblesse sont plusieurs à évoquer leur vocation forcée ».
Le serment
La question du « serment » est évidemment des plus complexes puisqu’elle cache, en réalité, plusieurs moments. Dès le 2 novembre 1789 les biens du clergé sont mis à disposition de la Nation. Le 12 juillet 1790 la constitution civile du clergé transforme l’Église en une administration publique. Le serment à la « constitution » (p 39-40), refusé par la moitié du clergé paroissial est décidé le 27 novembre 1790. Certains s’y étant soumis le rétracteront après sa condamnation par Pie VI en mars 1791. À ce moment-là, entre janvier et mai 1791 ont lieu les élections aux sièges épiscopaux. Dans les Hautes-alpes, Ignace de Cazeneuve est élu en l’église Saint-Victor de Chorges en mars 1791.
Plus tard (p 43), le 29 novembre 1791, un décret « soumet au serment tout ecclésiastique (p 44) fonctionnaire public ou non, sous peine de perdre sa pension et d’être considéré comme suspect de révolte contre la loi, de mauvaise intention contre la patrie et recommandé comme tel à la surveillance des autorités ». Ce texte est appliqué dans certains départements malgré le véto du roi Louis XVI. Celui-ci, (p 43) refuse le décret du 27 mai 1792 concernant la déportation des prêtres réfractaires dénoncés par 20 citoyens actifs du même canton.
La monarchie (p 45) chute le 10 août 1792. Le 14, « l’assemblée impose un nouveau serment ‘de liberté et d’égalité’ à tous les fonctionnaires, y compris les prêtres. Il remplace celui de 1790 désormais caduc. Puis, le 26 août, l’assemblée vote le départ volontaire des prêtres réfractaires qui doivent quitter le territoire dans un délai de quinze jours, sous peine de déportation en Guyane. Les infirmes et les sexagénaires regroupés au chef-lieu du département sont néanmoins exemptés ».
Selon l’abbé de Cournand (p 46), « le mariage permettrait d’apaiser le mécontentement du clergé et de renforcer ses liens avec le reste de la société. En effet, le mariage ‘humaniserait’ le prêtre ». H. Morel en 1792 considère que « si nos évêques et nos prêtres […] étaient ‘pères’, ils n’auraient pas rejeté la constitution civile du clergé. » Il faudrait souligner ici que l’évolution de longue durée de la conception sociale de la famille est contemporaine de celle du ministère presbytéral.
(p 58) « À la fin de l’été [1793], le mariage n’est plus conçu comme un moyen d’intégrer le prêtre dans la France nouvelle mais comme une arme déployée pour détruire l’Église et même le christianisme […] prémices de la déchristianisation de l’an II dont les mesures concernant le mariage ecclésiastique se poursuivront jusqu’à la fin de l’année 1794 ».
Mariage des prêtres et ordinations d’hommes mariés
Le mariage des prêtres n’est pas l’ordination d’hommes mariés. Xavier Maréchaux (p 42) souligne que « Pierre-Anastase Torné, évêque du Cher, et Pierre Pontard, évêque de la Dordogne ordonnent des hommes déjà mariés, avant de se marier à leur tour. L’un d’entre eux, Pierre Labarthe, ordonné le 24 avril 1793 puis curé de Cours-de-Pile en Dordogne », demande au cardinal Caprara l’autorisation de reprendre son ministère tout en restant marié. Son ordination restant valide, selon lui : son argumentation s’appuie sur « la littérature des Lumières contre le célibat ecclésiastique ».
Entre 1791 et l’été 1793 (p 46) soit avant la déchristianisation de l’an II, une minorité de prêtres se marie librement. Ils représentent 8 % de l’ensemble des prêtres mariés. « Certains tentent de poursuivre leur ministère, pour d’autres, le mariage est l’occasion de rompre avec leurs fonctions sacerdotales, avec l’Église ou avec le christianisme ». (p 47) Même si les prêtres vivent le mariage en référence aux Lumières, tous ne souhaitaient pas la rupture avec l’Église. Les prêtres mariés librement durant l’an II (p 48) représentent une part importante de ceux entrés en contact avec le cardinal Caprara.
69 % des prêtres mariés (p 80-81) le sont entre octobre 1793 et novembre 1794, « dernier mois au cours duquel des mesures sont prises pour forcer les prêtres à se marier ». Un lien existe entre les décrets des représentants en mission et les mariages surtout quand la liberté est offerte aux prêtres emprisonnés contre le mariage, comme dans les Côtes-du-Nord, la Manche, la Meuse.
(p 83) « Pourtant, malgré la fin des persécutions après 1794, 90 % des prêtres sont restés mariés ». Cela suggère, selon Xavier Maréchaux, que la déchristianisation n’a pas été un mouvement éphémère que la terreur religieuse de l’an II, à elle seule, permettrait d’expliquer. Peut-être faut-il s’interroger sur le lien entre le maintien de ces mariages et la communauté de vie qui procure la sécurité physique, précaire pour les prêtres alors, et la sécurité alimentaire ?
Aspect de la déchristianisation
La loi sur l’état civil (p 49), votée lors de la dernière séance de l’assemblée législative, le 21 août 1792, est présentée parfois comme marquant « une mise à mort du politique chrétien » car elle retire aux curés l’enregistrement des grands moments de la vie (naissance, mariage, décès) au profit des maires. L’interprétation de cette loi (p 50) comme un stratagème destiné à encourager le mariage des prêtres est contredit par l’esprit dans lequel elle fut votée puisqu’en septembre 1792 la déchristianisation n’était pas à l’ordre du jour. Elle avait seulement pour but de mettre fin à la querelle qui opposait clergé réfractaire et clergé jureur concernant l’enregistrement des actes de la vie. Dans les faits, elle reconnaît « aux citoyens le droit de n’adhérer à aucune religion » (Albert Soboul, La Civilisation et la Révolution française, tome 2, Paris : Arthaud, 1982, 542 p, ici p 72).
« La déchristianisation [qui] a pour but de détruire l’Église et son clergé » (p 65) prend des formes multiples : abdication des fonctions sacerdotales, mariages, déportations, exécutions des prêtres, laïcisation de la société (calendrier républicain, état civil, changement de la toponymie visant à supprimer les références chrétiennes, changement de prénom, retrait de l’enseignement profane au clergé notamment). Cependant, (p 85) si la déchristianisation de l’an II qui « avait pour but de détruire la religion catholique » échoue, l’Église constitutionnelle est décimée. De plus, la Théophilanthropie (p 92) est promue par Louis-Marie La Réveillière-Lépeaux, un des cinq directeurs. Elle se veut un renouvellement de l’Église et se pose en rivale.
L’Église constitutionnelle et l’Église légitime (p 86) « se font concurrence, au bénéfice de la seconde dont le prestige est immense parmi les fidèles pour avoir résisté victorieusement aux persécutions, au prix élevé de l’exécution et de la déportation d’un grand nombre de prêtres réfractaires. Les survivants de la hiérarchie constitutionnelle vont tenter de restaurer leur Église en se montrant particulièrement intransigeants envers ceux qui sont ‘tombés pendant la persécution’ ».
Après Thermidor (p 92), la séparation de l’Église et de l’État est prononcée par la loi du 18 septembre 1794. Cela permet le mariage en pleine liberté des prêtres le souhaitant : « 14 % des mariages de prêtres eurent lieu sous le Directoire ». Les persécutions reprennent au moment du coup d’État du 4 septembre 1797. Des prêtres (p 99) ont profité des circonstances pour se marier et le sont restés parce que les conditions sociales le permettaient. Avant la Révolution, un prêtre marié devait s’exiler. Certains de ceux qui sont dans ce cas (p 100) reviennent en France à la Révolution car « ils ne sont plus des parias » et peuvent même bénéficier de la consécration religieuse de leur mariage. En outre, Xavier Maréchaux traite de la question des enfants et des épouses des prêtres mariés pages 103 à 110.
Des prêtres mariés (p 115) ont pu ne pas être « réconciliés » avec l’Église et faire des carrières dans l’administration. À la Restauration (p 117) les « Ultras » demandent le départ des prêtres mariés des établissements scolaires. Emmanuel Sieyès (p 119) est resté célibataire tout en abandonnant ses fonctions ecclésiastiques. Il est successivement l’un des directeurs, l’un des instigateurs (p 120) du 18 brumaire an VIII puis l’un des consuls. Avec l’approbation populaire, le premier consul s’engage dans une politique de réconciliation nationale (p 121) : c’est le concordat.
(p 123) Les évêques français d’Ancien Régime sont divisés en deux groupes sur la négociation du concordat :
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À Rome les légitimistes « fervents défenseurs de la dynastie des Bourbons ».
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« Les pragmatiques de Londres pour qui le rétablissement de la religion catholique en France prime sur la restauration de la monarchie ».
Ce deuxième groupe est le plus entendu par le Saint-Siège qui demande la démission de tous les évêques. En effet, (p 121) Rome a besoin d’une puissance catholique pouvant faire face à l’empire autrichien dans la péninsule italienne. Talleyrand et Fouché, en France, sont opposés à ces négociations comme le sont, à Rome, des cardinaux favorables à l’Autriche ou à la monarchie française. Les « équipes de redoutables diplomates » sont dirigées du côté français (p 122) par l’abbé Étienne Bernier, ecclésiastique vendéen rallié à Bonaparte, et du côté romain par Monseigneur Spina, l’un des accompagnateurs du pape Pie VI lors de son exil en France.
Le concordat permet que (p 125) « Les évêques nomment aux cures, un pouvoir qu’ils n’avaient jamais eu auparavant ». Les Articles organiques, « empêchent les relations directes entre l’épiscopat français et Rome. L’Église catholique n’est plus qu’un service public parmi d’autres dépendant de l’État ; son nouveau statut ressemble ainsi bien plus à celui de l’Église constitutionnelle créée en 1790 qu’à celui d’avant la Révolution ». C’est le reproche que font les fidèles de la Petite Église, d’autant que Bonaparte n’a que deux exigences, le renouvellement de l’épiscopat et le respect de la propriété des acquéreurs de biens nationaux (Cholvy, p 21).
Pour les prêtres mariés (p 121), « Rome envoie à Paris le Cardinal Caprara avec pour mission principale la réconciliation. Dans sa tâche difficile, ce dernier peut compter sur le gouvernement et sur la majorité de l’épiscopat concordataire. Cependant, malgré leurs efforts conjoints, moins de la moitié des prêtres mariés ont cherché leur réintégration dans l’Église ».
Une mauvaise volonté (p 134) voire un « refus de participer à l’œuvre de réconciliation des prêtres mariés » existent chez certains évêques. Par exemple Henri Reymond, l’évêque concordataire de Dijon (p 131-132 et 187) et « ancien évêque constitutionnel de l’Isère » s’y oppose. Ce sont aussi les cas de Claude « Le Coz, ancien évêque constitutionnel de l’Ille et Vilaine, et archevêque concordataire de Besançon », Jean-Claude « Leblanc de Beaulieu, évêque constitutionnel de la Seine Inférieure et évêque constitutionnel de Soissons », Claude « Primat, évêque constitutionnel du Nord puis du Rhône et Loire avant de devenir évêque concordataire de Toulouse » et Dominique « Lacombe, évêque constitutionnel de la Gironde et évêque concordataire d’Angoulême. Ces quatre premiers évêques refusent d’autoriser le mariage religieux à des prêtres mariés de leur diocèse, tandis que Lacombe s’attribue les pouvoirs de Caprara pour valider religieusement ces unions sans le recours au cardinal ».
L’abbé Henri Grégoire (p 131) reproche également au pape d’attenter aux libertés gallicane en s’immisçant dans les affaires intérieures de l’Église de France, les prêtres mariés n’ayant besoin pour être réconciliés avec l’Église que d’une absolution sacramentelle que leur propre évêque pouvait leur accorder selon lui. Il critique (p 132) aussi le fait d’accorder la bénédiction nuptiale à un prêtre, alors que plusieurs de ceux-ci « étaient loin d’avoir préalablement réparé le scandale de leur mariage ».
D’autres évêques (p 134-135) ou leurs services ont rédigé les suppliques des prêtres mariés comme « L’évêque concordataire de Nancy, Antoine d’Osmond, évêque de Comminges en 1785 et ancien émigré prendant la Révolution, se distingue par la bienveillance de ses notes écrites en marge ».
Luc-André Biarnais archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun