Giovanni Maria Vian (préf.), Silvina Pérez, Lucetta Scaraffia, François, le pape américain, Paris : Presses de la Renaissance, 2017, 147 p., 14,90 €.
Le titre de cet article est emprunté au journaliste René Poujol dans un article sur son blog repris le 6 septembre 217 par Causeur.
Ce n’est pas un mais trois livres qui nous sont proposés dans cet ouvrage. Le premier a été rédigé par Silvina Pérez, directrice de l’édition en langue castillane de l’Osservatore romano et intitulé « Bergoglio » (p 23-85).
Les pauvres, richesse de l’Église
Les premières pages de cette contribution se situent dans le contexte de la dictature militaire en Argentine entre 1976 et 1983. Jorge Mario Bergoglio est marqué par l’idéologie péroniste, le justicialisme (p 48). Les généraux, eux, la combattent notamment en faisant disparaître des opposants ou supposés tels, y compris des religieux et des religieuses (p 25). La figure de sœur Léonie Duquet (p 30) est brièvement évoquée, parmi les disparus assassinés ainsi que celle de Mgr Enrique Angelelli (p 31 et 36), évêque de La Rioja et mort dans un faux accident de la route.
Dans ce contexte, Bergoglio affirme (p 27) que « Les pauvres [sont] considérés comme la richesse de l’Église ». Ici, les pauvres sont aussi les persécutés par la junte militaire. La dimension antisémite de la persécution est également traitée (p 32). Ce régime violent (p 34 et 36) prend fin dans la déroute de la guerre des Malouines en 1982.
Une enfance argentine dans un peuple de migrants
Silvina Pérez (p 37-50) revient sur les origines familiales de Jorge Mario Bergoglio. Elles se situent dans le Piémont italien au sein d’une famille laborieuse. Celle-ci migre vers l’Argentine alors que Mussolini et sa politique économique dominent l’Italie (p 38). La grand-mère paternelle de Bergoglio « était une active militante de l’Action catholique » (p 39). Sa mère, Regina Maria Sivoni est, elle, « fille d’une Piémontaise et d’un Argentin » (p 44).
L’ouvrage revient sur la vocation de Jorge Mario Bergoglio (p 47). Il traite également de l’époque où il est provincial des jésuites d’Argentine (1973-1979). En 1980, il est recteur de la faculté de théologie et de philosophie de San Miguel. Après des « années obscures » de 1990 à 1992 durant lesquelles il exerce son ministère à Cordoba (p 51), il est nommé évêque auxiliaire de Buenos Aires en 1992 puis archevêque en 1998.
« L’avenir de l’humanité et l’annonce chrétienne se joue[nt] dans les villes » (p 57)
L’épiscopat de Jorge Mario Bergoglio fait résonner l’action des années 1970. Ainsi travaille-t-il pour les victimes du libéralisme économique (p 58) notamment quand l’Argentine se met en défaut sur sa dette : l’Église est alors au cœur du dialogue social et de l’aide notamment avec la Caritas (p 61). L’archevêque de Buenos Aires se place aux côtés des migrants, principalement boliviens dans cette première décennie des années 2000.
Un pape réformateur et « tout à fait conservateur »
La partie consacrée au « Souverain pontife » est due à Lucetta Scaraffia (p 87-185). Elle dirige le supplément Femmes, Église, monde de l’Osservatore romano, créé en mai 2012 soit dans la dernière année du pontificat de Benoît XVI (2005-2013).
Elle décrit les premières années de pontificat d’un pape réformateur pour « ouvrir une brèche dans le modèle centralisateur et monarchique du Vatican » (p 95). Il est (p 138) « contre l’autoréférencialité de la centralité romaine et contre l’idée paternaliste d’une élite qui veut enseigner, estimant n’avoir rien à apprendre ». Il est aussi (p 112) « un homme de tradition qui ne modifiera en rien la doctrine » et même (p 114) « tout à fait conservateur sur les thèmes bioéthiques ». Ce dernier paragraphe fait pièce aux arguments du (p 143) « front le plus compact des opposants » qui accuse le pape François « de superficialité doctrinale, à la limite de l’hérésie, le décrivant comme un pasteur irresponsable qui, pour gagner un peu de popularité, n’a pas hésité à renoncer aux préceptes de la tradition chrétienne ».
La question des finances (p 98-100), avec les difficultés liées au ministère précédent du cardinal George Pell qui est à la tête du secrétariat pour l’économie, peut aussi être vue comme une permanence. En effet, l’histoire du siège apostolique, dans sa part d’institution humaine, est peuplée de problèmes de gestion.
La question des migrants et des migrations (p 103-104) est manifestement un fil rouge (dans le sens de ce qui restera) de l’histoire de Bergoglio. Le voyage à Lesbos, en avril 2016, n’a pas été sans critique non plus que l’ensemble de cette question durant le pontificat : nous renvoyons ici à ce qu’a écrit le père Christian Venard sur son blog et ici même ce que nous avons tiré de l’ouvrage de Laurent Dandrieu.
La perception de la migration est différente évidemment selon le point de vue géographique. Il n’est pas anodin de remarquer alors que le pape François est sud-américain, lui-même enfant de migrants. Ses réactions face à la Shoah (p 121-122) sont également celle d’un non-européen. Les relations du pape François avec le judaïsme sont évoquées trop brièvement dans les pages 126 à 128.
« Avant tout un pape missionnaire »
C’est ainsi que Giovanni Maria Vian, directeur de l’Osservatore romano et professeur de philologie patristique, présente le souverain pontife. Dans l’introduction analytique du livre (p 7-21), Giovanni Maria Vian, souligne les élections successives de trois papes non-italiens et la première d’un non-Européen dans l’époque contemporaine. Celle-ci intervient dans le contexte exceptionnel de la renonciation de février 2013 et de (p 9) « controverses et […] constantes campagnes médiatiques souvent manipulatrices ». François (p 12), par un effet de génération, est aussi le premier pape à ne pas avoir participé au concile Vatican II depuis Jean XXIII.
François, par ses origines piémontaises, serait un « lien entre le Vieux continent et le Nouveau Monde » (p 14). Cela fait écho à la phrase de la page 40 : « L’Argentine […] est un fragment d’Europe essentiel pour l’Amérique, où se rencontrent le Vieux et le Nouveau Mondes ».
Un livre jalon
Ce livre a bien quelques limites. L’exemplaire que nous avons reçu n’a pas de page 117. Plus au fond, le passage sur le synode pour la famille souligne le point de vue favorable à la méthode pontificale (p 98). Il est vrai que le questionnaire adressé à tous était une nouveauté : que 114 conférences épiscopales et 800 associations catholiques ont répondu. L’auteur ne dit cependant pas à quel point le dit questionnaire pouvait être compris – ou non, par un simple fidèle catholique.
S’il n’est pas le livre définitif sur le pape, François, le pape américain est un jalon dans l’histoire de cet épiscopat. Il donne des éléments biographiques sur un personnage clef de notre époque et des moyens de compréhension de son action.
Luc-André Biarnais archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun