Le dimanche 12 novembre, l’église Saint-Roch de Gap a débuté une année de célébration des cinquante ans de sa construction. À la suite de la messe présidée par Mgr Malle, une exposition et des panneaux ont été inaugurés. Dans l’après-midi, le père Pierre Fournier, ancien curé de la paroisse, a donné une conférence sur la signification de l’architecture de cet édifice contemporain, qui est l’œuvre de l’architecte Pierre Genton.
Le Père Pierre Fournier évoque le parallèle entre le pèlerinage de saint Roch et la vie du chrétien :
Voici le texte de cette conférence :
L’église Saint-Roch à Gap : la spiritualité de la lumière de Dieu
L’église Saint-Roch est moderne, bénie le 28 septembre 1968, et pourtant elle a été réalisée selon la richesse de la tradition biblique et des symboles sacramentels chers aux Pères de l’Église. L’architecte lyonnais Pierre Genton (1924-2004) a construit plusieurs églises à Lyon, à Marseille celle de Notre-Dame du Roucas-Blanc, et, dans les Hautes-Alpes, Saint-Roch à Gap et le Centre œcuménique de Vars inauguré à Noël 1970. Disciple de Le Corbusier, il a aimé mettre en valeur la sobriété des formes et matériaux, et, surtout, la lumière comme symbole de Dieu et comme beauté de la Création pour éclairer l’humanité et chacun de nous (1).
1. Saint-Roch : un saint patron dévoué au service des malades
À l’origine, la chapelle Saint-Roch se trouvait, en dehors de la ville de Gap, près du stade, près du quartier de la Maladrerie où les malades pestiférés étaient tenus à l’écart. Le jeune et très populaire saint Roch (XIVe siècle) soignait à la fois de par sa formation en médecine et de par sa capacité à faire des miracles. Il soignait les malades tout en accomplissant le pèlerinage de Montpellier à Rome, et retour. De ce fait, à l’église, sa grande statue le représente en pèlerin de Compostelle et de Rome : avec grand chapeau, cape et coquilles Saint-Jacques, bourdon, besace et Bible. Après la chapelle Saint-Roch de la Maladrerie, le chanoine Motte (2) a établi une chapelle Sainte-Thérèse au Quartier Moncey des gendarmes mobiles, puis un préfabriqué-chapelle rue Sabatier puis au jeu de boules au-dessous de l’église actuelle. Le saint patron, Roch, continue à nous signifier l’attention du Christ et de l’Église envers les malades et les soignants.
2. Notre marche : une démarche de vie et de foi vers le Seigneur
L’entrée de l’église est soulignée par l’importante galerie. Venir à l’église, c’est se mettre en route, parcourir un espace, pour se rapprocher de Dieu qui nous attend et nous accueille comme un Père. Ce déplacement du bout de la galerie jusqu’à l’autel et vers la Croix, et près de la Vierge, signifie notre désir de nous mettre à l’écoute de Dieu, de sa Parole. Nous sommes ici dans la symbolique biblique de la marche du peuple hébreu lors de l’Exode, ou de la marche des pèlerins de Jérusalem chantant les « Psaumes des montées » (Ps 120 -134), de la marche des apôtres montant à Jérusalem avec Jésus. La marche devient une démarche de foi, de quête de Dieu, de désir de participer à la communauté locale pour la célébration du Seigneur. Avec les joies et les soucis des uns et des autres, c’est l’itinéraire des participants de la messe, ou d’un baptême, d’une fête de communion, du mariage de nouveaux époux, ou pour accompagner un défunt. La galerie concrétise le fait que notre vie en son ensemble est une marche, d’étape en étape, vers la Jérusalem céleste. Et nous voulons vivre une démarche de croissance dans la foi avec Celui qui nous accueille en sa Maison.
3. Venir accueillir la lumière de l’amour de Dieu
En tout son être, « Dieu est Lumière » (Gen 1,2; 1 Jn 1,5…). Jésus affirme son rayonnement: « Je suis la Lumière du monde » (Jn 8,12). Pierre Genton, passionné de cette Lumière, a inondé l’église de lumière : le grand lanterneau central lumineux au-dessus de l’assemblée, les « puits de lumière » au-dessus du chœur, du baptistère, de la croix… Depuis la galerie et l’entrée, l’itinéraire des fidèles qui se réunissent devient un chemin de lumière. C’est la soif de la Lumière du Seigneur miséricordieux qui anime la démarche des fidèles : venir recevoir la grâce de la Lumière du Père Créateur, du Christ Sauveur, de l’Esprit Saint sanctificateur. Toute existence a un besoin vital de cette Lumière. « Celui qui marche à ma suite, nous dit le Christ, ne marche pas dans les ténèbres. Il vient à la Lumière » (Jn 8,12-20). La Lumière du Seigneur trouve sa Source dans son Amour, car « Dieu est Amour » (1 Jn 4,8).
4. Une forme octogonale pour nous dire la perfection de l’amour de Dieu
Les Évangiles nous présentent le Christ ressuscité le dimanche de Pâques, le « premier jour de la semaine » (Mt 28,1). Saint Jean nous dit aussi l’apparition du Ressuscité à Thomas « le huitième jour » (Jn 20,26). Le chiffre 7 exprime la perfection. Le chiffre 8 exprime alors le surcroît de la perfection. L’octogone est la figure harmonieuse de la plénitude. Les baptistères des premiers siècles sont octogonaux (à la basilique de Bethléem, à la cathédrale de Rome, par exemple). A Gap, le clocher des Cordeliers est octogonal. L’église Saint-Roch, elle, est entièrement de forme octogonale à partir du lanterneau octogonal. Le baptistère octogonal, et la cuve baptismale : pour être baptisé dans la plénitude de l’amour de Dieu. La liturgie de la messe : pour être en communion avec l’Amour parfait du Seigneur. Se marier ici : le couple des époux reçoit la bénédiction de la plénitude de l’Amour du Dieu Epoux de l’humanité. Les obsèques : la prière pour que le Seigneur appelle le défunt à avancer sur le chemin de la résurrection vers la plénitude de son Amour, de sa Vie. La totalité octogonale de l’église St-Roch est véritable message de bonheur avec Dieu.
5. Le dialogue entre les croyants rassemblés et nos frères humains
L’architecte Pierre Genton, ici comme à Vars, n’a pas souhaité de vitraux, qui feraient trop écran. Il a préféré des baies vitrées translucides pour que de l’intérieur de l’église nous puissions voir l’extérieur, et que de l’extérieur on puisse voir les célébrations qui se déroulent à l’intérieur. Bref, qu’il y ait une relation, un échange, un dialogue entre le dedans et le dehors. Pour que la prière vers Dieu n’oublie pas la vie des habitants du quartier (les divers immeubles, la caserne Moncey, etc). Pour que les habitants des voisinages sachent que des croyants se réunissent pour célébrer le Seigneur. Cette intuition de Pierre Genton correspond à la visée du Concile Vatican II : l’Église du Christ sacrement au cœur de l’humanité (Lumen Gentium § 1). Et la constitution L’Église dans le monde de ce temps. Gaudium et spes. A la messe, le pain et le vin sont reçus du Seigneur, et ils sont aussi « le fruit du travail des hommes« . La prière universelle porte vers le Seigneur les réalités de vie des gens proches ou plus lointains. Les baies vitrées sont aussi ouvertes vers la Création: vers le ciel, vers le soleil et vers la pluie, vers les étoiles. Le Dieu qui habite au Tabernacle est le Dieu de l’Univers, de toute l’humanité.
Conclusion: Une église qui rassemble les fidèles et qui les envoie.
L’église Saint-Roch est un signe de Dieu dans la ville, comme dans la conscience de chacun. Sa mission est ainsi bien exprimée par son architecture si riche en symboliques bibliques et spirituelles d’itinéraire et de démarche, de Lumière diffusée, de forme octogonale parfaite, et de dialogue avec l’environnement humain. Lors de l’envoi en fin de célébration, la galerie qui a accueilli les fidèles venus adorer et célébrer le Seigneur avec l’assemblée est maintenant la galerie qui accompagne les fidèles vers leurs lieux de vie et de foi: vers leurs familles, leurs activités quotidiennes. Éclairés par la Parole de Dieu et fortifiés par les sacrements célébrés ensemble, les fidèles deviennent « disciples missionnaires« , selon l’expression du pape François dans son Exhortation La joie de l’Évangile. Et saint Roch le pèlerin serviteur les accompagne aussi.
Père Pierre Fournier
Ancien curé de Saint-Roch de Gap (2000-2004), actuel curé des paroisses du Veynois, Serrois et Dévoluy.
(1) Claire Minard. Le rôle de la lumière dans l’architecture religieuse de Pierre Genton. DEA, Lyon, 1996.
(2) Sur le chanoine Edmond Motte un article très fouillé, de Louis Jacquignon, dans le Bulletin de la Société d’Etudes des Hautes-Alpes, 1994, p 25-46 : Le chanoine Edmond Motte (1879-1959) témoignages.
Pour en savoir plus sur saint Roch, le site préparé à l’occasion des journées européennes du patrimoine en 2015 par Hélène Biarnais, responsable de la médiathèque Mgr Depéry : http://saintroch-hautesalpes.blogspot.fr/
Père Pierre Fournier diocèse de Gap et d'Embrun 1948 - 2021