Adrien Candiard, À Philémon : Réflexions sur la liberté chrétienne, Paris : Le Cerf, 2019, 144 p, 10 €.
Pour
les chrétiens, qu’en est-il du « permis,
du défendu, de l’obligatoire »(p.12)
? Le dominicain Adrien Candiard, vivant en Egypte, au couvent du
Caire, s’est déjà fait connaître par de petits ouvrages
saisissants sur la spiritualité, les évolutions de l’Église dans
le contexte actuel : Veilleur,
où en est la nuit ?,
Comprendre
l’islam, ou plutôt pourquoi on n’y comprend rien,
Quand tu
étais sous le figuier,
propos intempestifs sur la vie chrétienne...
Ici, en cinq étapes, l’auteur réfléchit sur l’exigence de la
liberté chrétienne dans l’enjeu des choix quotidiens, « dans
le bazar de la vie concrète ». Bibliste par passion, Adrien
Candard se fonde sur saint Paul dans sa Lettre
à Philémon,
qu’il cite en entier (p. 22-24), tant est courte cette épître.
Saint Paul s’adresse à la conscience, à la totale liberté de son
ami Philémon en renvoyant vers lui Onésime, son esclave fugitif que
Paul a baptisé. L’esclave est devenu un être nouveau, libre en
Jésus-Christ, à recevoir par le maître dans le respect de sa
liberté nouvelle et totale.
Le dominicain commence par retracer l’ardent itinéraire religieux et spirituel de saint Paul, lui-même éduqué selon les 613 commandements du judaïsme, et « tout embarrassé de lui-même » (p. 39) dans ses « efforts incessants » d’accomplir la Loi et passant maintenant par le baptême lors du « chemin de Damas ». Non par le mérite, mais par grâce, Paul, le « converti », se découvre « celui que Dieu a créé, celui que Dieu aime » (p. 47), porteur infatigable, vers Philémon et vers tous, d’un Évangile de libération inattendue, intime et infinie. Adrien Candiard note « la délicatesse de Paul se tenant au seuil de la conscience de Philémon » (p. 55), comme Dieu auprès d’Adam et Eve (p. 58), comme Jésus auprès de Zachée, pour offrir « l’amitié de Dieu », libératrice de tout péché, à recevoir dans un cœur libre (p. 64).
L’auteur analyse alors la qualité de relation entre Paul et Philémon, une vraie relation de « fraternité » (p. 117-118). Cette relation décisive relève de la « chasteté », au sens profond de « n’aimer, dans l’autre, rien d’autre que lui-même » (p. 73). Cet amour suppose une véritable ascèse, car « la chasteté est l’horizon de tout amour, de toute sexualité » (p 76). L’auteur aborde alors le domaine de la sexualité amoureuse ou conjugale, du désir, et des tâtonnements des relations dus à l’ « irrationalité du désir » (p. 83). L’enseignement de l’Église désigne « la chasteté, paradoxalement, comme véritable libération sexuelle » (p. 85). Dès lors, « sur ce chemin, le Verbe de Dieu vient prendre chair » (p. 87). Pour éclairer « le chemin de liberté que Dieu ouvre à Philémon », Adrien Candiard rappelle des épisodes d’Évangile et paraboles qui nous déstabilisent devant la liberté dont fait preuve le Dieu miséricordieux envers les justes et les pécheurs. De même Jésus auprès de Marthe et Marie. Marthe manifeste deux grandes vertus, l’humilité et le service, mais « nos indépassables vertus chrétiennes, ça n’a pas l’air d’impressionner beaucoup Jésus ! » (p. 95). Jésus est là pour un Évangile de la gratuité, de la grâce. « L’essentiel, dans notre vie chrétienne, n’est ni l’action, ni la contemplation, c’est la rencontre et la vie avec le Christ » (p. 104). L’auteur en vient ensuite à Onésime, l’esclave fugitif baptisé par Paul. Par le baptême, par la délicatesse, manifestée par Paul et demandée par celui-ci à son maître, Onésime fait l’expérience du don inouï qui lui est fait, l’expérience d’une liberté inattendue : il peut entrer dans la « grâce » de Dieu. Chaque disciple du Christ est appelé à cette expérience bouleversante de la grâce de Dieu. Chacun est appelé à « un merci de gratitude, devant la vie, le monde, le salut, devant la grâce » (p. 126). Adrien Candiard médite alors sur l’enjeu de la messe : « Eucharistie signifie merci, pour la joie d’avoir tout reçu en soi, le Créateur de l’univers ! » (p. 105).
En conclusion, Adrien Candiard cite l’inégalable scène de Dostoïevski dans Les frères Karamazof où le Grand Inquisiteur condamne Jésus pour avoir commis la plus grave faute, celle d’avoir remis à l’être humain une totale liberté en Christ. « Elle est pleine de risque, la liberté offerte » (p. 133). Certes, la liberté spirituelle peut être détournée vers des abus. Mais la liberté, avec la force de l’Esprit, rayonne le bien. Elle peut donner une liberté intérieure exemplaire comme pour les dix-neuf martyrs béatifiés en Algérie. « Saisis par le Christ, ils ont répondu à cet amour par un amour libre, total » (p. 144). À chacun de grandir en conscience, en responsabilité, et en la dynamique liberté que l’Esprit suscite en soi (p. 9).
Comme dans les précédents livres, le style du frère Adrien Candiard, quasi oral, est très vivant, illustré d’exemples personnels, très fraternel dans les interrogations soulevées pour favoriser les prises de conscience du lecteur. L’originalité de la liberté chrétienne est fortement mise en valeur pour susciter l’attention de chacun à sa situation et aux choix de la vie quotidienne.
Père Pierre Fournier diocèse de Gap et d'Embrun 1948 - 2021