Stefano Simiz, Prédication et prédicateurs en ville (XVIe – XVIIIe siècles), Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2015, 352 p, 29 €.
Dans son introduction, Stefano Simiz évoque un projet d’étude sur « l’éloquence de la chaire » lancé par Amédée Gayot en séance de l’Académie de Troyes le 6 juin 1862 (p 17). Toujours au XIXe siècle, une religieuse vendéenne, en 1851, rappelait qu’il lui avait fallu attendre 1814 pour entendre « sermons ou instructions » d’une manière régulière dans une paroisse que venait de quitter un curé présent dès la Révolution française (sœur Marguerite Vrignaud, La Vendée aux lèvres closes, La Roche-sur-Yon : Centre vendéen de recherches historiques, 1998, p 129). Dans sa conclusion, l’auteur souligne l’avis de Mgr de Boulogne (1747-1825) sur « la chaire chrétienne […] une grande et utile institution », un art « qui sanctifie le génie par la religion, embellit la religion par le génie, et fait ainsi remonter vers le ciel les lumières et les talents qui en descendent » (p 314). L’homilétique ne distingue pas toujours le sermon des autres formes d’instruction (p 21).
Qu’est-ce que prêcher ? Cela « correspond à proclamer publiquement la promesse chrétienne » de la foi en la vie éternelle (p 18). C’est aussi être à l’image du Christ, « ministre de la parole et parole elle-même qui se réalisait sous les yeux de ses disciples » (p 218). La prédication doit aussi « occuper le calendrier du chrétien et l’instruire en profondeur sur les fondements et moyens de vivre sa foi » (p 310). Stefano Simiz étudie ce fait, à l’époque moderne, c’est-à-dire entre la Réforme et la Révolution française, dans les villes de Champagne et de Lorraine (p 30). En effet, « plus que jamais auparavant sans doute, la prédication s’est imposée dans le déroulé ordinaire de la ‘religion citadine’ d’Ancien Régime. Grâce à des initiatives toujours plus nombreuses et très diversifiées, le sermon est une des charpentes de l’édifice liturgique et cultuel de l’année, non seulement chez les catholiques, mais encore dans le monde protestant ou encore juif » (sic – p 67). Or, « faire de chaque église une chaire active » nécessite une action tout au long du XVIIe siècle (p 49). Des « stations » sont fondées par des fabriques paroissiales ou des confréries après le XVIIe siècle (p 54). Il faut souligner ici l’action de Georges d’Aubusson de La Feuillade, évêque de Metz entre 1668 et son décès en 1697, après avoir siégé à Embrun de 1649 à 1668. Il cherche à « contrecarrer l’enseignement calviniste » après 1680, mouvement qui « s’inscrit non pas dans une période de développement ou de consolidation du protestantisme, mais en accompagnement ‘pastoral’ des mesures prises afin d’accélérer son dépérissement » (p 51).
L’institution d’un chanoine théologal, dès le XVIe siècle, est l’un des instruments de ce mouvement en faveur de la prédication (p 264). Une histoire de la chaire est possible malgré les pertes de mobilier depuis la Révolution, à condition de s’intéresser au « christianisme matériel » et d’accepter une collaboration entre historiens de l’art, liturgistes et historiens (p 68).
« Partout on note la volonté d’imposer ce meuble du principal sanctuaire de la cité à la plus obscure des églises rurales » au long du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle en France (p 76). La montée et la descente en chaire fait l’objet d’explications théologiques (p 90-91) selon qu’il existe une rampe unique ou deux rampes, la première pour la montée, semblable à la venue des « Rois Mages » auprès de l’Enfant Jésus et la deuxième pour la descente, telle le chemin différent pris par les visiteurs pour éviter une nouvelle rencontre avec Hérode (p 90-91). Les propagandistes du jansénisme après 1730 utilisent le ton de la prédication dans leur publication des Nouvelles ecclésiastiques. Page 304, l’auteur rappelle l’héritage du jansénisme dans les « thèses presbytériennes », en s’appuyant sur la prédication
du curé Thouvenel à Vaucouleurs en 1770. Thouvenel défendait les droits des curés contre ceux des évêques.
L’un des apports de Stefano Simiz est de remettre en cause l’idée reçue de « la faible implication des curés et vicaires dans la prédication » (p 191). La présence des réguliers étant une stimulation pour les prêtres séculiers urbains « loin d’être mal formé[s] et incapable[s] ». Prêcher est la marque du bon prêtre et donc du curé comme le souhaitait la cinquième session du concile de Trente (p 192 et 312). C’est sur cela qu’insiste au fond les publications de l’évêque de Luçon, Richelieu, qui publie des instructions que les curés doivent lire au prône (p 198). Celui-ci « est une interruption du cours ordinaire de la messe au profit de l’enseignement » située le plus souvent entre la liturgie de la parole et celle de l’eucharistie. Les variations montrent que la « forme » de la messe n’est alors pas encore pleinement définie.
Les questions de la préparation et de la conservation du discours sont traitées pr֤esque simultanément dans les pages 235-250. Ne pas préparer son sermon, notamment en le rédigeant, est repéré et « nuit à l’efficacité de l’instruction ». Préparer signifie également puiser dans les sources, patristiques par exemple (p 140) ou de prédécesseurs ayant fait imprimer leurs textes. Cela est évidemment signe d’un souci de transmission aux contemporains et, peut-être, pour la postérité. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’équipement des presbytères en livres fait l’objet d’une attention constante.
Quelques personnes ayant eu des influences directes ou indirectes sur les diocèses alpins sont citées dans cet ouvrage. Nous avons déjà évoqué l’action de l’évêque de Metz, Georges d’Aubusson de la Feuillade. Du côté de la Réforme, Guillaume Farel (1489 – 1565) est cité page 70, pour ses prêches en 1525 et en 1542 à Metz et à Gorze.
Jean-Martin Moÿe (évoqué dans son expérience missionnaire par un article de Françoise Fauconnet-Buzelin dans Église dans les Hautes-Alpes de février 2015, n° 107) est présenté ici comme curé de paroisse. Il est auteur d’une Vie de M. Louis Jobal de Pagny, curé de Sainte-Ségolène à Metz, mort en odeur de sainteté, âgé de 30 ans le 3 septembre 1766 (1780, 224 p) et est à l’origine d’un manifeste anonyme sur le baptême des petits enfants, notamment des fœtus qui seraient en danger de mort (p 204).
Enfin, l’oratorien Gilbert Bérard, neveu de l’évêque de Senez Jean Soanen, est présenté comme « janséniste certain » (p 291-292). Il prêche à Metz plus de vingt ans après l’édit de Fontainebleau (1685) révoquant celui de Nantes. Jean Soanen (1647 – 1740) est lui-même oratorien, « appelant » contre la réception de la bulle Unigenitus et exilé à la Chaise-Dieu après le concile d’Embrun de 1727.
Sur le même sujet, existe un livre récemment paru aux Presses universitaires de Rennes, tout particulièrement sa troisième partie, « controverses et prédications » : Prêtres et pasteurs. Les clergés à l’ère des divisions confessionnelles (XVIe – XVIIe siècles).