Mgr Maurice de Germiny (dir.), Valentin Favrie (coord.), Les archives de l’Église en France, in Documents épiscopat, n° 9, Paris : Secrétariat général de la Conférence des évêques de France, 2019, 111 p., 8 €.
Les archives sont les documents produits dans l’exercice d’une activité pour en garder des traces. À l’origine, elles ne sont pas conçues pour servir l’histoire mais c’est au fil du temps qu’une partie acquiert une finalité historique. Ces documents sont d’abord des outils de fonctionnement pour l’institution. C’est dans ce contexte que l’Église catholique en France a pris l’initiative de garder les traces de son histoire pour en faire mémoire. Liées intimement à leurs structures organiques, les archives de l’Église catholique en France sont dispersées et conservées dans les organismes producteurs : les diocèses, les paroisses, les congrégations religieuses, les sanctuaires, les monastères, les mouvements d’Action catholique, les organismes centraux et régionaux de l’Église catholique, sans oublier les archives missionnaires et celles des paroisses françaises à l’étranger.
Pour donner un aperçu de ce que sont les archives de l’Église catholique depuis la Révolution française jusqu’à aujourd’hui, le n° 9 du Documents Épiscopat (2019) leur est consacré spécialement. Ses cinq rubriques traitent toutes des missions des archives de l’Église en France, qui sont les mêmes que celles des archives publiques (collecter, classer, conserver et communiquer). Ce document n’est pas un traité archivistique mais plutôt un appel aux évêques, congrégations, associations des fidèles, aux baptisés […] pour préserver et transmettre les documents qui jalonnent la vie du peuple de Dieu, de la société et des pasteurs de l’Église.
Pour accueillir et organiser les archives de l’Ancien Régime, les services publics d’archives en France se sont organisés durant la Révolution. Aujourd’hui ce réseau couvre le pays entier et permet aux citoyens où qu’ils résident en France d’avoir accès à leur passé. L’Église catholique dispose elle d’une diversité de services d’archives : le Centre national des archives de l’Église de France, les archives diocésaines et les archives des congrégations.
Le Centre national des archives de l’Église en France (CNAEF)
Le besoin de conserver les archives de l’Église dans un même centre s’est fait sentir à partir de 1970. Elles étaient parfois laissées à l’abandon ou détruites, faute de temps ou de moyen. Valentin Favrie (p 24), responsable du Centre national des archives de l’Église de France, expose dans la deuxième partie du chapitre l’objectif de sa création. Ce dernier est créé en 1973 sous l’initiative de l’abbé Charles Molette et des autorités épiscopales, et avait pour objectif de sauvegarder les archives de l’Église en péril « non pas pour regrouper les fonds existants mais afin d’assurer la sauvegarde des archives qui ne ressortissent à aucun dépôt en exercice, et risquent d’être définitivement perdues » (circulaire 73-80 du 12 octobre 1973 du secrétariat général de l’Épiscopat).
Au début, le Centre était installé dans un local attenant à la Bibliothèque centrale d’étude, dans le 7e arrondissement de Paris puis au 106 rue du Bac dans les locaux du Secrétariat général de l’Épiscopat en 1982, suite à la décision du Conseil Permanent de rattacher le CNAEF à la CEF un an plus tôt. Puis, en 1998, la saturation de ces nouveaux locaux a conduit le Conseil permanent à déplacer le Centre dans une partie du séminaire des prêtres de Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux qu’il occupe aujourd’hui. La CNAEF conserve actuellement six kilomètres linéaires d’archives dont un de publications, 51% des fonds proviennent des services de la CEF. Il a pour mission aujourd’hui de collecter, classer, conserver, communiquer et valoriser les archives des instances et services qui le composent.
Si le Centre national des archives de l’Église de France conserve les archives de ses organismes centraux, les paroisses, congrégations, diocèses et les institutions religieuses regroupent aussi une multitude de fonds.
Les archives diocésaines
Les services d’archives diocésaines sont très importants pour l’histoire locale de l’Église catholique en France. Par la loi du 5 novembre 1790 durant la Révolution, l’Assemblée constituante déclara les archives ecclésiastiques propriété de l’État et ordonna leur versement dans les dépôts publics. C’est ainsi que les archives diocésaines antérieures à cette date, registres de catholicité compris, sont conservées dans les services départementaux. Les archives conservées aujourd’hui dans les diocèses sont postérieures à 1801. Ceux-ci conservent en priorité les archives de l’administration épiscopale, puis les archives pastorales des services diocésains, des œuvres et des mouvements. Ils conservent aussi des archives paroissiales et de la vie du clergé et les registres de catholicité (baptêmes, mariage sépultures), qui sont un fonds spécifique souvent géré par la chancellerie de l’évêché. Ils conservent aussi certains fonds récupérés par dépôt ou par don, notamment ceux des communautés religieuses. Comme le souligne David Gaultier, archiviste au Centre national des archives de l’Église de France, dans la troisième partie du Documents épiscopat, les archivistes diocésains sont chargés de collecter, classer, conserver et communiquer les archives des services de l’évêché, des mouvements ainsi que les paroisses puis les inventorient afin d’en faciliter la consultation.
Dans l’exercice de leurs fonctions, les archivistes diocésains se confrontent à des difficultés qui résident dans le fait qu’il y a autant de situations touchant aux archives qu’il existe de diocèses. À cela s’ajoute aussi les moyens en personnel et en espace de stockage. Car malgré la professionnalisation des archivistes diocésains, certains diocèses font appel à des bénévoles religieux ou laïcs, par choix ou par nécessité. Ils sont de bonne volonté mais ne sont pas formés à cette tâche, ils ne sont présents que quelques jours voire quelques heures par mois, ce qui nuit à leur efficacité. Par manque d’espace, certains diocèses déposent aux Archives départementales. Cela entraine un accès plus difficile de l’institution à ses documents, et la disparition d’une partie du patrimoine ecclésiastique.
Les archives des congrégations religieuses
Pour les congrégations religieuses, la perte et la disparition des archives sont provoqués par les lois des 29 mars 1880 et 1er juillet 1901 et les mesures d’expulsion qui les ont suivies. Mais l’empreinte de ces évènements diffère d’une institution à l’autre et certaines ont des documents bien antérieurs.
Ces communautés religieuses conservent nombre de documents dont les fonctions s’enchevêtrent. Certains ont une valeur en droit canonique, d’autres permettent ou reflètent la prise de décision au sein de la congrégation. Ces archives sont parfois restreintes aux autorités de la congrégation (registres) tandis que d’autres (circulaires, nécrologies) sont largement diffusées. Elles protègent aussi les archives du fondateur ou fondatrice, l’administration de la congrégation, des personnes et des biens, des activités spirituelles, des conseils d’administration, des legs, des communautés fermées. Les grandes congrégations ont leurs services d’archives tenus par des professionnels parfois situés dans les locaux de la maison-mère. C’est l’exemple du service d’archives de la compagnie de Jésus en France, qui accueille de nombreux chercheurs. En revanche les petites congrégations ont une gestion problématique de leurs archives.
La gestion et la collecte des archives de l’Église
Les archives de l’Église catholique ont les mêmes missions que tout service d’archives public et privé. Les archives de l’Église catholique sont une institution privée, depuis le Concordat signé en 1801 entre Bonaparte et le pape Pie VII. Ce texte a permis la réconciliation entre l’Église catholique et la France et la stabilité entre les deux puissances. Il donnait une place officielle à l’Église catholique comme « religion de la majorité des Français » et elle devenait juridiquement autonome, en produisant et conservant ses propres archives. Elle est libre de dicter ses propres règles en ce qui concerne les missions de ses archives. Cependant il faut souligner que la préoccupation à l’égard de la conservation des archives de l’Église catholique est très ancienne. Le droit canonique y fait référence plusieurs fois. Les archives sont définies comme « « l’ensemble ordonné et méthodique des actes et documents produits ou reçus par les organismes ecclésiaux publics […] ou par des personnes exerçant dans l’Église une fonction publique » (p 34). Pour donner de la valeur aux lieux de conservation d’archives, le Code de droit canonique stipule que « dans chaque curie il faut établir en lieu sûr les archives ou le dépôt d’archives diocésaines, dans lequel seront conservés les documents et les écrits concernant les affaires diocésaines tant spirituelles que temporelles, classés et soigneusement enfermés » (canon 486 §2).
Dans la première partie du Documents épiscopat, Élisabeth Verry, archiviste-paléographe et conseillère pour les archives auprès de la conférence des évêques de France, évoque la spécificité des archives de l’Église catholique, et précise que « les règles de gestion qui s’appliquent au service central des archives de l’Église ont été approuvées par les autorités de cette seule structure, et ne sont pas applicables de manière automatique dans les diocèses par exemple pas plus que dans les congrégations ». Les principes fondamentaux qui régissent les archives publiques et ecclésiastiques ne sont pas très éloignés, mais toutefois il faut souligner que le droit canonique insiste plus que le droit commun sur la place des archives dans le gouvernement. Comme l’exprimait le pape Léon XIII après l’ouverture des archives vaticanes aux chercheurs pour la consultation : « les archives sont d’abord destinées aux personnes, juridiques ou physiques, qui les produisent. Ainsi, l’Archivio Vaticano sert-il d’abord au pontife romain et à sa Curie ».
La collecte est la mission fondamentale des services d’archives car elle vient chronologiquement avant le classement, la communication et la valorisation. Elle est aussi la plus difficile. Souvent, la proximité des archivistes avec les services épiscopaux facilite le versement des documents. Ce n’est pas le cas des paroisses et cela peut s’expliquer par le manque de moyen et de temps des curés et des conseils pastoraux. L’archiviste doit se déplacer pour collecter les archives dans des paroisses puisque les archives n’arrivent pas d’elles-mêmes dans les rayonnages. Les services diocésains quant à eux contactent l’archiviste pour le versement lorsqu’un agent bénévole ou salarié quitte le service en laissant des dizaines de boîtes d’archives, lors d’un déménagement de service ou lorsque le bureau est plein à craquer.
Pour faciliter le versement des archives, il est donc important d’organiser des séances de sensibilisation pour les services, pour la bonne gestion des documents et surtout pour la constitution de dossier clairs et bien nommés.
Le numérique et les Archives de l’Église en France
Depuis les années 1970, le support numérique est venu progressivement seconder le papier pour archiver les documents dans les institutions. Toutefois, si le format électronique offre de nouvelles possibilités de consultation et de diffusion des documents, la préservation sur le long terme des fichiers et logiciels nécessite un ensemble de précautions particulières. Cette question du numérique est de plus en plus posée dans l’Église. Puisque les associations déménagent souvent dans des petits locaux pour gagner de l’espace et réduire les coûts, elles recourent à la numérisation de leurs archives. Certes avec le numérique le travail devient plus rapide et la conservation des documents nécessite moins de place mais les choses ne sont pas aussi faciles que l’on pense. Les documents numériques ont un fort risque de ne pouvoir être lus dix ans plus tard contrairement au support papier qui a une longue durée de conservation. Le numérique est meilleur pour la valorisation et moins performant pour la conservation. La conservation numérique nécessite des connaissances et des compétences appropriées. Comme le souligne Valentin Favrie « la conservation numérique est possible mais elle doit être pensée avec toutes les contraintes et les exigences qu’elle implique. Elle nécessite des compétences dans le domaines archivistique et informatique. Pour l’utilisateurs de l’outil numérique, cela implique une rigueur quotidienne dans la création de ses documents. Il est certain que l’Église sera confrontée à ce problème dans les années à venir » et même dès à présent.
La fonction d’archiviste s’est imposée au sein de l’Église avant même la constitution des services d’archives. En France, elle s’est peu à peu généralisée au XIXe siècle, s’est revêtue d’une importance particulière après la loi de 1905 lorsque l’Église s’est pleinement investie du patrimoine archivistique. Aujourd’hui une prise de conscience de l’importance des archives est sensible avec une progressive professionnalisation. Beaucoup de jeunes professionnels prennent maintenant en charge ces services et apportent méthodes et pratiques d’un métier auquel ils sont formés contrairement à leurs aînés qui étaient des clercs, religieux et religieuses. Quoi qu’il en soit, il est important de veiller activement à la protection des archives de l’Église afin de faciliter l’accès aux chercheurs et érudits selon les normes en usages et avec la vigilance qui s’impose. Car les archives sont un outil de gouvernement d’abord puis une part du patrimoine écrit de l’Église qu’il faut absolument valoriser.
Aléma Akara
Archiviste stagiaire au diocèse de Gap