Homélie à la Messe du Jubilé de Marie Silve, fondatrice des Davidées :
à Notre-Dame du Laus, jeudi 1er septembre 2016
Nous sommes très heureux de vivre cette Eucharistie « interdiocésaine » présidée par le Père Christophe Disdier-Chave, vicaire général de Digne, avec le Père Ludovic Frère, vicaire général de Gap, et concélébrée avec nos Pères évêques Mgr André Léonard et Mgr Albert de Montléon, avec les autres prêtres et diacres.
Avec le groupe des « Chrétiens dans l’Enseignement public » (CdEP) et tous les pèlerins, nous avons la joie de fêter le 100e anniversaire des sessions des « Davidées ». C’est, en effet, l’histoire de la magnifique et providentielle rencontre, ici, à Notre-Dame du Laus, de deux vaillantes institutrices à la fin de l’été 1916, durant la Grande Guerre. Avec des collègues enseignantes, la jeune institutrice Marie Silve, 22 ans, est venue du diocèse de Digne, de la Haute-Ubaye, d’au-delà de Barcelonnette, de Fours. Elle rencontre ici Mélanie Thivolle, institutrice venue, avec des collègues également, du diocèse de Valence, de Crest. Les deux petits groupes s’organisent pour une retraite spirituelle ensemble.
C’est une belle illustration de l’Évangile de ce jour (Luc 5,1-11). Au bord du Lac de Tibériade, le Christ appelle ses premiers disciples. Il dit à Simon: « Avance au large et jetez vos filets !« . Cet épisode marque la vocation et la mission des premiers disciples de Jésus. Nous retenons l’image du filet des pêcheurs : le filet qui s’ouvre largement, qui plonge dans l’eau, et qui rassemble les poissons. Le filet rassemble les poissons pour le répartir ensuite en nourriture partagée entre les convives. C’est ce qui s’est réalisé ici à Notre-Dame du Laus il y a cent ans avec ces deux institutrices. Quel a été leur filet ? C’était leur désir de se soutenir mutuellement pour vivre une vie spirituelle profonde et généreuse, pour sortir de l’isolement des institutrices éloignées d’un village à l’autre, d’un hameau à l’autre, pour nourrir leur vocation et leur mission de baptisées, d’enseignantes chrétiennes au sein de l’École publique laïque.
Marie Silve et Mélanie Thivolle ont pleinement répondu à l’appel du Christ pour devenir « disciples-missionnaires » selon une expression chère au pape François. Avec leurs collègues, elles se sont donné rendez-vous pour une retraite spirituelle annuelle à Notre-Dame du Laus. Elles ont aussi créé immédiatement un bulletin de liaison pour servir de communication entre collègues souvent isolées. Dès la fin 1916, ce bulletin est devenu une revue mensuelle, « Aux Davidées » , et, par la suite, le sous-titre a été précisé: « Revue de Formation chrétienne ».
L’origine de ce remarquable élan tient à la conversion vécue par Marie Silve à ses 20 ans. D’éducation chrétienne par sa famille et sa paroisse près de Seyne-les-Alpes, à St-Pons, sa foi a été ébranlée dans la formation à l’École Normale. À Fours, sa rencontre avec le curé, le Père Signoret, va être déterminante. Il lui propose de lire le roman de René Bazin paru en 1912 : « Davidée Birot » (ce roman qui vient d’être republié en diverses éditions). Elle se reconnaît dans l’histoire de cette jeune institutrice Davidée arrivée dans le village d’Ardésie. Davidée est à l’écoute de ses élèves, notamment de la petite Anna, de 8-9 ans, prise dans des difficultés familiales et qui lui confie: « Je veux mourir… ». Mourante, Anna questionne: « Et Dieu dans tout cela ? » En emmenant ses élèves aux obsèques à l’église, Davidée est confrontée à la question de la destinée humaine: « D’où venons-nous? Où allons-nous ? » La conscience de Marie Silve est touchée. Elle se questionne alors sur la Vérité, sur le sens à donner à sa vie, sur la pertinence des sources de la foi chrétienne, et décide de venir, avec ses amies, en pèlerinage à Notre-Dame du Laus.
Avec la revue « Aux Davidées » et les autres revues qui la compléteront, avec les réunions et les rencontres, avec des centaines, puis plusieurs milliers d’abonnés, de lecteurs et des lectrices, les « Davidées » ont eu un rayonnement rapide et étonnant. Ce fut la source de vraies vocations de baptisés vécues dans le célibat, ou dans la vie conjugale et la vie familiale, des vocations religieuses, aussi, dans la vie consacrée apostolique ou contemplative, des vocations de laïcs engagés dans leur milieu de vie, notamment auprès de non-croyants selon un dialogue fraternel.
Le philosophe Jean Guitton a pu écrire un étude sur « Marie Silve et la spiritualité laïque ». Il y souligne la fécondité de la discrétion chère aux Davidées, une discrétion assumée dans la tâche quotidienne de l’enseignement avec intériorité et disponibilité. Jean Guitton aime faire le parallèle entre la discrète institutrice Marie Silve, la discrète Vierge Marie, et la discrète bergère Benoîte Rencurel au service des pèlerins du sanctuaire de Notre-Dame du Laus. Chacune a vécue une féconde vocation et mission auprès de leur entourage.
À la lecture de la revue « Aux Davidées », nous remarquons combien la vie tout entière de Marie Silve a été profondément animée par l’École française de spiritualité qui s’est développée à la suite de saint François de Sales et d’autres auteurs spirituels. Elle a vécu ainsi dans le sens de la grandeur de Dieu, le sens de sa Sainteté qui suscite la prière, l’adoration, la contemplation, l’humilité de l’être humain comme créature au service du Seigneur et des frères. Cette École de spiritualité, c’est aussi le sens de l’Incarnation du Fils de Dieu dans l’humanité, ce qui ouvre pour Marie Silve sur le sens de l’incarnation de l’Évangile dans la vie chrétienne quotidienne. C’est également le sens de la grâce de Dieu célébrée dans les sacrements qui façonnent la vocation chrétienne : le baptême, l’Eucharistie, la Confirmation, le Pardon de Dieu. Cette perspective conduit au sens du ministère des prêtres. C’est encore le sens de l’importance de l’Esprit Saint comme force dans le service quotidien, et le sens de la Vierge Marie, qui apporte sa collaboration au Christ pour la rédemption du monde.
L’Évangile de ce jour nous montre Jésus appelant ses disciples qui jettent leurs filets pour être des rassembleurs d’hommes et des témoins du Seigneur. A la suite du Christ, Marie Silve et Mélanie Thivolle ont jeté les filets de l’Évangile pour que la nourriture spirituelle soit abondante pour leurs collègues d’enseignement, pour les élèves et leurs familles, une nourriture abondante pour nous tous !