Laurent Sentis, Du libre-arbitre et de la liberté, Paris : Beauchesne, 2019, 152 p.,14 €.
Le père Laurent Sentis a de fidèles attaches dans le diocèse de Gap et Embrun, à la fois dans le Gapençais et dans la Vallouise, tout en étant prêtre du diocèse de Fréjus-Toulon. Ancien élève de Polytechnique, il est docteur et professeur en théologie, et ancien directeur des études au grand séminaire du diocèse de Fréjus-Toulon. L’auteur a déjà publié deux ouvrages : Saint Thomas d’Aquin et le mal (1992) et De l’utilité des vertus. Éthique et alliance (2004).
Ici le père Sentis creuse l’un de ses thèmes favoris : le lien entre morale et liberté. Il est convaincu que l’affirmation du libre-arbitre, ou du « cœur » biblique, ouvre un nouveau regard sur la morale, sur les dynamismes de croissance intérieure. Il invite à des recherches (sous-titre). Il aborde la question de la liberté par le biais éclairant de la philosophie grecque sur la « non-servitude » et la « capacité d’initiative » (Aristote) puis « la libération et la capacité d’initiative » dans la Bible. Dans le Premier Testament, au début de la Genèse, Dieu invite l’être humain à l’initiative. L’Exode fait le récit du passage de la servitude au « service heureux ». Dans le Nouveau Testament, l’épître aux Romains et l’Évangile selon saint Jean explique la notion neuve de liberté que Jésus apporte.
Quant à l’idée de libre-arbitre, l’auteur en repère la naissance chez saint Justin de Naplouse (IIe siècle). De là, il dégage l’originalité chrétienne de cette notion. Les Pères grecs font leur la notion de libre-arbitre, mais va apparaître le caractère problématique de son origine chrétienne. Chez les Pères latins, saint Augustin perçoit la difficulté radicale de l’usage du libre-arbitre, qui peut être responsable du mal moral. De ce fait, il intègre la réflexion sur les conséquences de la crise pélagienne. Il est alors possible de saisir les enjeux de la capacité d’initiative selon Augustin et Aristote. Saint Anselme va apporter sa réflexion sur la liberté comme pouvoir de garder la justice, tandis que saint Bernard va envisager trois types de liberté. Pour sa part, saint Thomas d’Aquin pose le libre-arbitre comme faisant partie de la nature humaine, et la capacité d’initiative comme la capacité du païen vertueux. C’est en raison du libre-arbitre que l’homme est image de Dieu, et capable de péché. L’auteur analyse alors le caractère problématique de la doctrine de saint Thomas, avant d’en venir au célèbre débat sur la grâce et le libre-arbitre chez Luther et Érasme, débat qui alimente ensuite la pensée du concile de Trente, et qui se retrouve chez Baïus, disciple de saint Augustin, et chez le jésuite Molina. Descartes, par qui advient la notion d’autonomie de l’individu libre et conscient de soi, est perçu par Laurent Sentis comme « un homme profondément religieux et fidèle à la foi catholique » (p. 118).
Fondée sur ces analyses, la recherche de l’auteur est synthétisée par la question des enjeux du libre-arbitre, à la fois image de Dieu, occasion du péché, appel à une guérison. Il emploie ici trois langages : biblique (la purification du « cœur »), théologique (l’affinement de la conscience), et moderne (la capacité d’initiative, et le pouvoir d’être attentif au Créateur). Il reconnaît qu’en somme le libre-arbitre, ou la capacité d’initiative de l’homme, est bien dans le dessein de Dieu, mais il s’agit d’une capacité blessée par le péché. D’où le rôle déterminant de la communauté et de l’éducation dans l’éveil de la capacité d’initiative pour accompagner des personnes responsables. Laurent Sentis montre comment la grâce divine soutient le cheminement de la personne.
En conclusion, Laurent Sentis rappelle le thème du « cœur » dans la Bible, cette source intérieure de la liberté, du libre-arbitre, de la capacité d’initiative. L’auteur donne des pistes de réflexion pour prolonger ses recherches par un débat sur le plan tant théologique que philosophique (p. 146). Il indique des champs pratiques dans la culture contemporaine marquée par l’individualisme libéral : les thèmes de la régulation de la société, du contrat social, de la démocratie parlementaire, des « valeurs républicaines », en relation avec la foi chrétienne. À plusieurs reprises apparaît la question des droits de l’homme comme en 1789 (p. 118, 147…). C’est dire combien l’auteur prend en compte les réalités pratiques des choix de la personne et des enjeux de cohérence sociale. L’effort de réflexion que comporte la lecture de cet ouvrage ne manque pas d’intérêt pour une juste quête de liberté sur le plan personnel et communautaire pour le devenir de nos sociétés.