Les Hautes-Alpes dans l’autobiographie de Joël Rosenfeld

Joël Rosenfeld, Il essuiera toute larme de leurs yeux, Créteil : Auteurs du monde, 2018, 528 p, 23 €.

Les Haut-Alpins lisent ce livre avec un intérêt particulier du fait qu’y sont évoqués plusieurs personnalités du département et le sanctuaire Notre-Dame du Laus, avec leur rayonnement qui a été déterminant à d’importantes étapes de l’histoire de l’auteur.

Né en 1950 à Paris, dans une famille juive, Joël Rosenfeld nous donne ici son autobiographie, de foi judéo-chrétienne et d’engagement social et ecclésial. Ses grands-parents maternels, les Mann, sont des juifs polonais « venus en France, pays des droits de l’homme » vers 1920. Ses grands-parents paternels sont des juifs hongrois, également immigrés en France et exterminés en 1943 au camp de Sobibor. En 1941, son père Étienne est déporté de Drancy vers l’Allemagne pendant treize mois. D’une grande sensibilité sur son identité juive, et d’une recherche spirituelle vive, Joël s’est orienté vers la foi chrétienne. Il a été bien accueilli à Notre-Dame du Laus, ému d’être appelé « frère universel » par le père Roger de Labriolle, l’historien des événements du Laus. Questionnant le père Justin Verney, recteur du sanctuaire, à propos de son regard sur les juifs, celui-ci lui a répondu : « Je les aime ». Et le père René Combal a eu la même attention bienveillante et encourageante dans cette démarche du judaïsme à la foi chrétienne. Le père Justin Verney, très lié à Notre-Dame de Vie à Venasque, ouvre Joël à la spiritualité mystique du Bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus. C’est à Notre-Dame du Laus, en 1976, que Joël, à 26 ans, est baptisé par Mgr Pierre Chagué, évêque de Gap, et son parrain est le père Verney. Ses liens avec Notre-Dame du Laus s’approfondissent tellement que Joël reviendra plus tard durant plusieurs étés, dans un service d’écoute et de conseil auprès des pèlerins et de personnes en difficulté. Pour fêter le 40e anniversaire de son baptême, en 2016, Joël est de nouveau au sanctuaire et, dans le cadre du Jubilé de la Miséricorde, il y donne son « témoignage de l’Amour de Dieu venu à [sa] rencontre » (p. 471).

Au fil des années, Joël Rosenfeld a affiné à la fois la force de ses racines juives et son attachement à Jésus de Nazareth reconnu comme Messie et Fils de Dieu. En ce sens, Joël participe au mouvement des Jeunesses juives (DEJJ) et, à 19 ans, fait un premier voyage en Israël : en kibboutz et en visites. Par son histoire familiale très attentif aux souffrances humaines et aux évolutions de la société, objecteur de conscience, Joël fait un service civique à la communauté de l’Arche de Jean Vanier, auprès des jeunes et adultes handicapés. Il y fait connaissance d’une assistante, Danielle, et leur mariage chrétien est célébré à la communauté, avec des signes du judaïsme (le talith posé sur les époux, par exemple) avec la participation des parents juifs de Joël et de leurs proches. Le jeune couple s’engage dans l’amour conjugal pour vivre la perspective d’une famille « église domestique » selon la spiritualité familiale de la tradition des Pères de l’Église, reprise par Paul Evdokimov dans La Nouveauté de l’Esprit. Joël et Danielle partent en Israël pour s’y établir, mais la difficulté est trop grande pour un travail professionnel et au moment où s’annonce leur premier enfant, Noémi. De retour en France, Joël travaille à nouveau, auprès de personnes handicapées, avec l’Arche, à Gordes, puis au centre d’aide par le travail de Trosly. Après une quinzaine d’années avec l’Arche, en 1991, une nouvelle activité professionnelle commence pour Joël, comme travailleur social, avec la qualification de conseiller conjugal et familial à Compiègne, au centre d’hébergement et de réinsertion (CHRS) pour dix-neuf années, jusqu’à sa retraite professionnelle en 2012. Un apaisement s’est réalisé dans le cœur de Joël au fil de sa vie familiale et professionnelle, comme sur le plan de sa foi juive et chrétienne. C’est ainsi, par exemple, qu’il lit avec joie le livre du père Jean-Baptiste Nadler Les racines juives de la messe (L’Emmanuel, 2015).

Joël nous fait part aussi de son engagement avec l’association « La Vigne de Rachel » créée aux Etats-Unis en 1995 et présente en France depuis 2009 pour des retraites avec des femmes et des hommes ayant été confrontés à l’avortement (p. 467). Joël y intervient, en se fondant notamment sur son expérience personnelle, à ses 21 ans, lors d’une relation amoureuse, suivie des étapes du pardon mutuel et du pardon de Dieu. « Cette expérience d’accompagnement me plonge dans la bonté du Dieu vivant, qui n’a de cesse de nous sauver ».

En fin d’ouvrage, l’auteur tient à faire des « mises au point » : son insistance à prononcer « shabbat » plutôt que sabbat, « Christ » plutôt que « Cri.. » dans « Jésus-Christ », à préciser « Israël » plutôt que « Terre Sainte », à noter que « Palestine » ne désigne pas le territoire au temps de Jésus mais seulement à partir de l’an 135, et que « conversion » ne convient pas aux juifs devenant chrétiens, mais « accomplissement ». L’auteur se réjouit du document du concile Vatican II Nostra Aetate sur l’Église et les juifs, et les autres croyants des religions non-chrétiennes. Il tient aussi à exprimer son amour de la France, pays qui a accueilli sa famille en détresse. Puis le souhait final : « La paix ! Shalom ! », et la prière conclusive : « Qu’avec le Seigneur nous demeurions sur le Chemin de l’Éternelle Nouveauté ! » (p. 503).

Un important album-photos termine le livre : ses grands-parents, son père Étienne rentrant de déportation, son mariage avec Danielle, son épouse avec leurs trois enfants : Noémi, David, Nathanaël ; au service d’accueil à Notre-Dame du Laus (2008). Sur un ton bienveillant et fraternel, en ce livre, Joël Rosenfeld nous déploie l’étonnante richesse des racines juives, de sa connaissance biblique, de son expérience spirituelle de la prière (Renouveau charismatique notamment) et du cheminement quotidien avec le Messie Jésus, avec Marie « fille de Sion », de son expérience conjugale et familiale, de son expérience professionnelle auprès de personnes en souffrance. Fondamentalement, il s’agit de « conversions » de vie successives et multiples, et d’une radicale expérience interreligieuse judéo-chrétienne. Comme le souligne dans la préface Cécile Pointeau-Logeart, l’auteur nous entraîne nous-mêmes dans une profonde aventure de réconciliation : avec soi-même, avec le Dieu miséricordieux, et avec l’autre, entre chrétiens et juifs, et tous les autres. Une aventure aux mille surprises de la Providence.


Père Pierre Fournier
diocèse de Gap et d'Embrun
1948 - 2021

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