L’évangile du oui

Dominique Collin, L’Évangile inouï, Paris : Salvator, coll. Forum, 2019, 191 p., 18 €

Difficile de résumer ce livre à mille facettes, mais bien centré sur une conviction : « Que nous dit l’Évangile à notre époque tentée par le nihilisme ? Qu’il existe un à-venir riche en promesse : la Vie vivante pour goûter ‘tendresse sur tendresse’ » (p. 185). Philosophe et théologien dominicain né en 1975, Dominique Collin creuse ici le sillon qu’il a ouvert avec ses précédents livres : Mettre sa vie en paraboles (Fidélité, 2010) et surtout Le christianisme n’existe pas encore (Salvator, 2018).

Citant Nietzsche sur « l’aspiration au néant en contrecoup au grand bouleversement », l’auteur commence par situer le contexte « nihiliste » actuel, catastrophé par « l’apocalypse climatique » et par l’inquiétude devant « la flèche du progrès ». Mais alors devient « possible une écoute à l’inouï » (p. 14), vers « l’heureuse annonce de l’Évangile ». Car l’Évangile, jusqu’ici, par la chrétienté passée, est trop resté dans le « non ouï ». Or, il est « une nouvelle plus jeune que nos nouveautés : l’Évangile ! » (p. 19). Dominique Collin souligne que la force divine de l’Évangile est, selon les termes bibliques, de transfigurer l’humanité, en la faisant passer de la simple vie de finitude, biologique (en grec, bios), à la Vie vivante infinie (Zôê).

L’auteur procède en trois étapes-méditation. D’abord, l’Évangile qui délivre « la parole de la Vie ». Elle ne peut advenir qu’en quittant le « moi je » menacé par le « dévivre » et qui nous asservit. Il convient de laisser émerger le « soi », l’être personnel profond, « le moi intime et véritable » (p. 41). Alors l’écoute de la Parole peut se réaliser en suivant le chemin de la Passion et de la Résurrection du Christ à l’œuvre déjà maintenant. On découvre ainsi que le langage de l’Évangile est spécifique, le « langage de la gratification », pour « que notre joie soit complète » (1Jn 1,4 ; p. 65).

Puis « le Livre de la Vie » selon la belle expression de l’Apocalypse : l’Évangile non pas un livre à lire tel quel, mais le Livre auquel le disciple-lecteur consent de s’exposer pour se laisser travailler par le Livre lui-même et se laisser déchiffrer intérieurement. Un renversement se produit : « la parole de Dieu dit l’inouï de la parole humaine » (p. 89). Le lecteur doit se décider à entrer dans « la loi de la conversion […] se convertir à la joie et à la Vie ! »

Enfin, au cœur de la démarche, mûrit l’accueil de la plénitude de « la Vie selon l’Évangile ». Il ne s’agit pas d’une morale glissant vers le moralisme et le négativisme légaliste, mais d’une éthique de la Vie, de l’« amour sans raison », dans la dynamique du désir d’infini pour « aimer à perte de vue ». Les choix à poser seront des choix dans le « bon sens », celui de la vérité de l’amour, de la vérité relationnelle, pour le pardon, pour le bien, et la Vie.

Dominique Collin manifeste une grande cohérence, une originalité de ton, d’expression. Chemin faisant, il se réfère à Kierkegaard le philosophe du soi (p. 44). Il cite, très élogieusement, les auteurs qui le stimulent, par exemple ‌Jean Delorme, « bibliste inspiré », pour sa marquante étude L’heureuse annonce selon Marc (Cerf, 2008), ainsi que Maurice Bellet notamment pour son livre L’explosion de la religion (Bayard, 2014), ou encore François Jullien pour ses ouvrages Si près, tout autre, et Inouï (Grasset, 2019), ou ses Ressources du christianisme (L’Herne, 2018) où l’auteur insiste également sur le surgissement de la pleine Vie (Zôê) que le Christ apporte en abondance.

Avec un style enlevé, mais avec son exigence sur les mots de l’Évangile, cet essai ne manquera pas de conduire le lecteur à une lecture méditative, pour une découverte aussi heureuse que fructueuse pour un acte de foi : « À la Vie ! »


Père Pierre Fournier
diocèse de Gap et d'Embrun
1948 - 2021

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