Les éditions El-Aquini de l’Institut dominicain d’études orientales (IDEO) du Caire : ouvrages de théologie chrétienne en traductions arabes.
Les premiers livres de cette nouvelle maison d’édition El-Aquini, créée au Caire en 2015 par les dominicains de l’Institut dominicain des études orientales (IDEO), sont parus en se répartissant en quatre collections : « Bible », « Théologie », « Spiritualité » et « Documents d’Église ». En langue arabe, El-Aquini est le décalque du terme l’Aquinite, soit saint Thomas d’Aquin (1227-1274). Le but des pères dominicains du Caire est de contribuer à animer le dialogue islamo-chrétien et interculturel entre l’Orient et l’Occident. Pour ce faire, le frère John Gabriel Khalil, responsable de la maison d’édition El-Aquini et ses collaborateurs ont choisi de publier des traductions, en arabe, d’études théologiques chrétiennes contemporaines touchant à l’exégèse biblique, à la théologie dogmatique…
Parmi
ces premiers livres on trouve, par exemple, dans la collection
« Théologie »,
en 2016, la traduction du dominicain péruvien le père Gustavo
Gutierrez La
théologie de la libération
(1971), traduit de l’anglais vers l’arabe par Jeanne Rizqallah
Middelstaedt, et revu par le frère John Gabriel Khalil. Le choix de
traduction s’est porté vers cet ouvrage du fait qu’en Égypte des
chrétiens et des musulmans, aspirent à avoir accès à des
perspectives d’une foi bien contextualisée dans des sociétés
présentes en travail de développement. La démarche du père
Gustavo Gutierrez en ce courant théologique latino-américain a paru
opportun pour éclairer la situation des populations égyptiennes
actuelles. Par ailleurs, pour le secteur « Bible »,
le choix s’est porté vers un ouvrage du père Raymond E. Brown,
sulpicien, exégète américain (1928-1998), Introduction
au Nouveau Testament
(en anglais, 1997). L’intérêt de cet ouvrage est de couvrir tout le
Nouveau Testament en lui donnant une introduction très abordable.
Dans sa méthode, le père Raymond Brown donne au lecteur une
présentation de la civilisation gréco-romaine, des débats
théologiques, et il répond à des points controversés donnant
lieu, en Égypte, à des discussions à la fois chez les chrétiens
et chez les musulmans.
Le
but de ces publications est de soutenir, au Moyen-Orient, la
recherche islamo-chrétienne, théologique et biblique, en faisant
place aux questions et aux défis suscités dans les pays arabes tant
pour les chrétiens que pour les musulmans. C’est une réponse à un
appel déjà formulé en 1987 au Symposium international tenu à
Harissa (Liban) sur le thème : Pour
une théologie contemporaine au Moyen-Orient.
Il y avait été souligné le besoin de nourrir la recherche
théologique du fait que le christianisme a son berceau au
Moyen-Orient ainsi qu’une riche tradition théologique originale,
comme avec les Pères arabophones de l’Église, dont il convient de
mieux connaître la spécificité. La patrologie arabophone, ou le
patrimoine arabe chrétien, s’est surtout développée entre le VIIIe
et le XIVe
siècles, avant l’emprise politico-culturelle de l’Empire ottoman. On
reconnaît que « l’arabité s’était bien christianisée, et le
christianisme s’était bien arabisé ». Plus de 50 000
manuscrits chrétiens arabes traitaient de liturgie, de droit, de
théologie, d’hagiographie, et d’autres domaines. Le récent
renouveau envers la patrologie arabophone a déjà contribué à
publier plus de vingt-cinq ouvrages, et la tâche est bien vaste
encore.
Dans
ces dernières décennies, des penseurs chrétiens ont été très
partie prenante de mouvements socio-culturels qui ont valorisé
l’arabité plurielle, et qui ont précédé le mouvement de
libération du « printemps
arabe »
de 2011. Le chrétien Michel Aflak, par exemple, a été un des
leaders du parti Bass. Ces militants chrétiens cherchaient alors
dans le Christ la figure emblématique pouvant éclairer leur
démarche de libération. On remarque qu’actuellement, au
Moyen-Orient, la figure du Christ tend à être « perçue
de façon assez floue, assez désincarnée et vague par rapport aux
réalités de la rude vie des populations ».
Pour le frère John Gabriel, « le
Christ semble devenu comme une figure incohérente. On en fait le
héraut d’un message uniquement spirituel, typique de la prédication
et de l’expérience monastique très prégnante en Égypte. Cette
spiritualité risque de ne proposer aux fidèles qu’une attente
passive, une justice divine rendue par une intervention surnaturelle
de Dieu… Au lieu de cela, le Seigneur nous invite à ‘sortir de
notre torpeur’(Romains
13,11) » (John Gabriel Khalil, El-Aquini,
dans le n° 82 de la revue Amitiés
dominicaines,
Province de France, Pâques 2019, p. 26-28). Le choix d’El-Aquini
est donc déterminé à puiser dans
« les
trésors d’une théologie contemporaine qui prenne en compte les
événements du monde, développée en Occident et en Amérique
Latine depuis le concile Vatican II »
(ibidem).
Cette théologie étant en langues européennes, il faut maintenant,
ajoute le frère John Gabriel, « compléter
et enrichir le patrimoine chrétien oriental, riche en tradition
théologique et exégétique, et en communion avec le reste de
l’Église catholique. Les catholiques orientaux ont besoin de
traductions de livres essentiels ».
Pour
El-Aquini,
le chantier du dialogue entre les traditions orientales et
occidentales est urgent et vaste. Mais la figure de saint Thomas
d’Aquin est incitative. Le saint théologien, en effet, savait
appuyer sa réflexion sur la philosophie grecque (Aristote surtout),
redécouverte, vers la fin du XIIe
siècle, par le biais des penseurs musulmans comme Avicenne
(980-1037) et Averroès (1126-1198). Peu après Thomas d’Aquin et se
référant à lui, le philosophe et mystique dominicain Maître
Eckhart ne manque pas de trouver des interlocuteurs parmi les
penseurs arabes, notamment Al-Kindi (801-873), Al-Farabi (872-950),
Avicenne, Al-Ghazali (1058-1111), Averroès. À terme, les livres
d’El-Aquini
formeront ainsi une véritable bibliothèque arabophone comme outil
de dialogue avec la théologie occidentale de l’aire nord et
sud-méditerranéenne et bien plus largement. La précieuse
patrologie arabophone pourra être valorisée et développée, comme,
en ce domaine, avec les travaux du père Khalil Samir Khalil
universitaire jésuite (né en 1938), dont la thèse a porté sur le
philosophe arabe chrétien Abû Zakkariyya Yahya (893-974), ou pour
prendre un autre exemple, les études sur des auteurs comme Théodore
Abou Qurrah (750-820), évêque de Harran à la première époque de
l’islam.
Par
cette initiative de maison d’édition, l’Institut dominicain d’études
orientales (IDEO) répond pleinement à sa vocation et à sa mission
du fait que le couvent dominicain du Caire a été créé dans les
années 1930 pour favoriser la rencontre et le dialogue entre
chrétiens et musulmans. La publication de ces livres est d’autant
plus pertinente que, dans la ville du Caire, la prestigieuse
université islamique El-Azhar se trouve dans un quartier proche de
l’IDEO. Les liens établis entre les dominicains de l’IDEO avec les
enseignants et les étudiants de l’université El-Azhar en seront
sensiblement fortifiés. De plus, ces liens viennent de recevoir
leurs lettres de noblesse du fait que le pape François et le grand
imam d’El-Azhar, Ahmad Al-Tayyeb, ont co-signé, le 4 février 2019,
à Abou Dhabi, la désormais célèbre déclaration, initialement
écrite en arabe : La
fraternité humaine. Pour la paix mondiale et la coexistence commune
(texte et commentaires, éd. Salvator, 2019, 87 p.).
Par
ailleurs, il est à noter que les éditions Chemins
de Dialogue
ont publié plusieurs ouvrages touchant à l’expression du dialogue
islamo-chrétien relatif à l’Égypte : du père dominicain Jacques
Jomier (1914-2008) les Confidences
islamo-chrétiennes. Lettres à Maurice Borrmans (1967-2008)
(éd. CdD, 2016, 544 p.), le père Jomier étant, avec le père
Georges Anawati, co-fondateur de l’IDEO, grande figure de l’histoire
cairote et des contacts avec l’Université El-Azhar. Et le livre de
Françoise Jacquin Louis
Massignon, hôte de l’Étranger
(éd. CdD, 2016, 122 p.), Louis Massignon ayant vécu au Caire. De
même aussi, relatif au dialogue islamo-chrétien dans une aire
géographique musulmane proche, au Soudan, le livre de Rémi Caucanas
Etienne
Renaud (1936-2013), la passion du dialogue
(éd. CdD, 2017, 448 p.), sachant que lors de ses responsabilités au
Soudan, le père Renaud a été très attentif à l’expression de
l’islam soudanais, notamment dans sa forme soufie à Khartoum et à
Omdurman. La postface de ce livre est de Mgr Miguel Guixot, devenu
président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.
Vu
ses enjeux en termes de rencontre et de dialogue, cette initiative de
publication, en arabe, de livres de théologie chrétienne ne peut
que susciter notre estime pour ses responsables et tous ses
collaborateurs et interlocuteurs, et nos vifs encouragements.