Véronique Olmi, Bakhita : de l’esclavage à la liberté et à la sainteté, Paris : éd. Albin Michel, 2017, 458 p., 23 €.
Issue de l’Afrique, du Darfour musulman, cette jeune esclave Bakhita est devenue religieuse, et sainte. Véronique Olmi est déjà l’auteur de nombreux romans, nouvelles, pièces de théâtre, et, justement, d’un opéra sur la vie de sainte Joséphine Bakhita. Elle nous donne ici un bouleversant roman historique sur sa douloureuse et étonnante aventure.
Bakhita est née au Soudan, au Darfour, en 1869, alors que Mgr Daniel Comboni, à Khartoum, vicaire apostolique du Soudan, lutte contre l’esclavage et mourra, épuisé, à 50 ans, en 1881. À sept ans, Bakhita est enlevée dans son village. La première partie du récit, « De l’esclavage à la liberté« , raconte comment le traumatisme de l’enlèvement lui a fait oublier son nom et, par dérision, on la nomme « Bakhita », en arabe « La Chanceuse »… Du Darfour à El Obeid et à Khartoum sur les marchés, elle est plusieurs fois vendue. Elle connaît alors les misères et les souffrances de l’esclavage, les sévices dont elle gardera des cicatrices toute sa vie. Elle connaît les caprices des maîtres, mais aussi le monde hiérarchisé des esclaves entre eux, les forts méprisant les faibles. Avec courage et bonté, Bakhita soutient ceux qui sont plus fragiles.
Au Soudan, en 1884, c’est l’époque troublée du soulèvement islamique du Mahdi contre le gouverneur anglais Gordon Pacha. Le Mahdi se pose en leader d’une rénovation de l’islam. Adolescente, à 14 ans, pour la cinquième fois, Bakhita est rachetée, par le consul d’Italie à Khartoum, Callisto Legnani. Elle ne sera plus torturée, enchaînée, bafouée… Emmenée en Italie, elle constate aussi des pauvretés et des misères. Venue de l’islam confrérique soudanais, elle découvre la foi chrétienne et ses prières dans la famille Michieli (p.253). Elle pressent que Stefano a un « secret » à lui confier. Il lui confie une croix de chapelet en disant ces simples mots: « Dieu notre Père nous donne son Fils Jésus pour nous aimer jusque sur la croix ». Soutenue par des proches et le cardinal Agostini de Venise, à 20 ans, elle est déclarée libre par le procureur du roi le 29 nov. 1889. Son exclamation de liberté: « Je veux Dieu » (p. 308).
Dans la seconde partie « De la libération à la sainteté » (p. 311 sv), nous voyons la progression de Bakhita. Elle est préparée au baptême célébré le 9 janvier 1890. Quelle émotion pour elle d’apprendre à prier avec le « Notre Père« , et d’entrevoir que Dieu est Père « le Patron« , « suprême et infaillible » (p.391), Fils sauveur, et Esprit Saint. Elle s’étonne que ce Dieu-là puisse être présent non seulement en Italie, mais aussi à Khartoum, à Suakin vis-à-vis de La Mecque… Voici Bakhita avec les Sœurs canossiennes chez qui elle devient religieuse pour cinquante-trois ans, jusqu’à sa mort. « Madre Moretta », la « Mère noiraude », connaît la période difficile du fascisme, de la séduction du Duce, puis de la guerre. Là encore se manifeste sa résilience, sa profonde force morale et spirituelle: Bakhita protège les faibles, les orphelins, les enfants qui ont tant peur pendant la guerre 1939-1945 en Vénitie, à Schio, non loin de Caporetto, sinistre lieu de la défaite italienne (p.396). À sa mort, en 1947, Bakhita est vénérée comme une sainte. Jean-Paul II la déclare patronne du Soudan en 1995 et sainte en 2000. Diverses paroisses en Afrique l’ont prise pour sainte patronne.
Ce livre faisait partie des huit sélectionnés pour le Prix Goncourt. D’une écriture très concrète, Véronique Olmi conduit le récit avec beaucoup de sensibilité pour montrer la richesse de personnalité de cette jeune esclave livrée aux multiples sévices, mais devenue « la chanceuse », bénéficiant de solidarités humaines et de la grâce de Dieu, tout en étant la servante des petits.
Père Pierre Fournier diocèse de Gap et d'Embrun 1948 - 2021