Une éthique animale ? Que peuvent apporter les religions monothéistes ?

Patrick Llored, Une éthique animale pour le XXIe siècle, l’héritage franciscain, Paris : Médiaspaul, coll. : Questions éthiques, 2021, 215 p., 17 €.

La question religieuse, et interreligieuse, de la relation entre l’être humain et l’animal, intervient immédiatement (p. 5, 7, 9…) dans la réflexion de Patrick Llored, professeur de philosophie et chercheur en éthique animale à l’Université Lyon III. De fait, la question d’une éthique animale, et de ses enjeux socio-culturels et religieux, est de plus en plus vive actuellement.

L’auteur participe activement au développement de cette « jeune science » de l’éthique animale. L’homme et l’animal, en effet, font partie, ensemble, de la même Création, perçue selon les différentes traditions religieuses de la Torah, de la Bible, du Coran… La crise de la covid 19 avive cette remarque de type écologique devant les risques de dérives vers un « écocide » (p. 13, 206 et suivantes). Dans la rapide évolution éthique récente, Patrick Llored distingue trois étapes plurielles de la pensée : la production de principes moraux au profit des animaux (l’éthique animale de langue anglaise), l’inclusion des animaux dans une histoire partagée avec les humains (éthique pluraliste de Donna Haraway), et la réflexion sur « les animaux, susceptibles de contribuer à un bien qui ne soit plus anthropocentrique » (voir Jacques Derrida, 1930-2004).

Patrick Llored interroge les religions monothéistes à propos de leur rapport à l’animal. Selon la Torah et la Bible chrétienne, Dieu crée les animaux le même jour que l’être humain (Genèse 1 : 24-31). Mais souvent l’animal est l’« animal sacrifié » (chap. 1) aux divers sens du terme, l’animal instrument de travail ou élément d’alimentation, ou offert à Dieu lors de rites, comme dans les liturgies juives au Temple dans l’ancien judaïsme, ou la « fête du mouton » des musulmans, à l’Aïd el Kébir. Un statut moral peut-il être établi pour l’animal ? Cela nécessite de dépasser l’anthropocentrisme théologique si habituel, appuyé sur les conceptions religieuses de la Création. Là, l’auteur insiste sur la révolution opérée dans la tradition chrétienne par saint François d’Assise (1182-1226) : non seulement sa rencontre avec les pauvres, et avec le sultan d’Égypte, mais aussi sa rencontre « paradigmatique » avec le loup de Gubbio (chap. 3), le loup prédateur pacifié, et sa prédication aux oiseaux, justement très riche d’enjeu éthique (chap. 7). L’auteur souligne l’importance de la remarquable encyclique Laudato Si‘ du pape François (p. 58 et suivantes). De façon forte et novatrice, elle appuie les changements socio-culturels « zooanthropologiques » actuels, et les possibilités données par l’éthique animale pour agir avec pertinence dans les « interactions sociales interspécifiques » (p. 104). L’animal est reconnu en son « altérité de tout autre » (p. 106). L’auteur met en relief le lien fondamental entre l’homme et l’animal dans une même « communauté interspécifique ». De là, la nécessité d’une « libération animale » (ou de l’animal) par le biais d’une dédomestication réfléchie, de l’engagement sur « un enjeu politique majeur », et sur la reconnaissance de « droits politiques » pour les animaux, « politique » étant entendu comme vision d’une communauté de vie et de destinée.

Concernant la tradition musulmane, Patrick Llored renvoie (p. 41) à la savante somme réalisée par Al-Hafîz Basheer Ahmad Masri (1914-1992) : Les animaux en islam, traduite en français en 2015 (éd. Droits des animaux, 291 p.) avec l’appui de Malek Chebel. Né en Inde, formé au Caire (El-Azhar), puis installé en Angleterre et nommé imam, le sunnite Al-Hafîz Masri a perçu l’intérêt de se consacrer à cette recherche sur le statut de l’animal en islam. Pour la fête du mouton, il ne s’agit pas de « tuer » l’animal, mais de le « sacrifier », dans un acte religieux en commémorant le sacrifice d’un bélier par Abraham (Coran, 37 : 102-107). Des « sacrificateurs » doivent être certifiés pour l’« abattage » (terme à réajuster). Des pratiques d’endormissement ou d’étourdissement (électronarcose…) se développent pour adoucir les douleurs de l’animal avant le sacrifice.

Patrick Llored évoque des courants de pensée plus ou moins reliés à des références religieuses : Aristote, René Descartes (l’animal-machine), Martin Heidegger… Il salue l’importance de l’apport récent de Jacques Derrida, Bruno Latour, Philippe Descola, Sandra Laugier, Jean-Pierre Digard… et particulièrement du jésuite François Euvé dénonçant « l’anthropocentrisme contaminant le christianisme » (p. 57-58) et auteur de l’ouvrage Théologie de l’écologie (2021, chap. « L’homme et l’animal »).

L’écriture de Patrick Llored est méthodique, approfondie, parfois ardue. Le réel intérêt de ce livre vigoureux réside ainsi dans la sérieuse analyse des divers substrats religieux de l’éthique animale. Il situe l’émergence progressive d’une éthique animale plurielle. La forte détermination de l’auteur incite à approfondir les textes sacrés respectifs et à donner une suite à l’incomparable héritage franciscain. Avec la crèche de Noël, la symbolique proximité de l’âne et du bœuf auprès de Jésus enfant, reconnu par les chrétiens comme Sauveur universel, ne cesse de délivrer un message d’éthique animale très parlant. Certes, le lecteur ne suivra pas toujours l’auteur dans ses propositions sur les « droits politiques des animaux » (p. 165-184). Mais au final, la question éthique est nettement posée dans le champ du dialogue entre les religions.


Père Pierre Fournier
diocèse de Gap et d'Embrun
1948 - 2021

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