Épistémologie des mathématiques

Françoise Roumieu, « De la possibilité d’articuler les mathématiques et l’éthique », dans Revue des questions scientifiques, n° 190 (3-4), Université de Namur, 2019, p. 385-403.

L’auteure Françoise Roumieu est haut-alpine, habitant à Ventavon. Son article fait suite à sa remarquable thèse de philosophie (390 p.) soutenue, sous le même titre, en 2017, à l’université catholique de Lyon sous la conduite du père Pierre Gire, ancien doyen de la faculté de philosophie.


Notre société vit avec des « chiffres omniprésents : taux du chômage, dette publique, indice des prix, PIB, PNB, classement PISA sur le niveau de connaissance des jeunes, etc ». Françoise Roumieu présente d’abord les performances des mathématiques quant à l’utilisation des statistiques et des probabilités pour tenter de maîtriser un avenir toujours incertain et offrir la vie la meilleure possible. Elle donne deux exemples : le calcul des conditions pour construire un barrage (crues, résistance des matériaux…), et le calcul des « conséquences politiques du principe darwinien de sélection naturelle appliqué aux maladies mentales et au dérèglement moral » en contexte socio-économique de pauvreté. Avec Condorcet (Probabilité et pluralité des voix), l’auteure analyse le rapport des mathématiques à la justice. Toutefois, remarque Françoise Roumieu, les mathématiques rencontrent leurs propres limites : dans la persistance du mal qui « résiste toujours et surprend », dans le discernement délicat entre le rationnel et le raisonnable, dans la confrontation entre la logique et l’éthique. De là, la nécessité de trouver un « lieu » d’arbitrage entre mathématiques et éthique. L’auteure insiste alors sur l’importance du langage parlé et sur ses limites de ce langage, à son tour. Comment peut-on aller des mathématiques à l’éthique ? et inversement ? La discussion est requise avec Jürgen Habermas, Ludwig Wittgenstein… Le risque demeure, à la fois « mathématiquement calculable parfois …et affaire d’espérance ». Finalement, quel modèle peut être élaboré pour une articulation entre éthique et mathématiques ? « Le risque donne à la vie son intérêt et son dynamisme ». L’auteure se réfère au jeu et au pari (voir Pascal), car « la vie amène à prendre des risques, avec l’espoir de gagner, ce qui est de l’ordre du jeu et du pari ».


En conclusion, Françoise Roumieu invite chacun à « être vigilant et à rester très prudent devant tous les raisonnements, tableaux de nombres, calcul de probabilités, actions éthiques proposées, suggestions de l’intelligence artificielle. L’articulation entre mathématiques et éthique se place dans un dialogue infini entre ces deux disciplines », dans une dialectique ouverte (p. 402). La bibliographie conduit le lecteur d’Aristote (Éthique à Nicomaque) à Paul Ricoeur et à Ludwig Wittgenstein (Conférence sur l’éthique, 2008).

Une thèse et un article qui stimulent à la fois la réflexion qui cherche à approfondir le sens de la vie, ses dynamismes et ses prises de risque, et l’observation des réalités pratiques quotidiennes au niveau des choix posés par les personnes, les groupes et les sociétés.  


Cette étude, passionnante, voisine avec l’article du père Pascal Ide sur « La forme (animale) comme gratuite automanifestation » (p. 349-384) : une réflexion sur l’être animé par l’amour dans le monde, « où la beauté, le don, la gratuité et la forme priment sur le seul hasard, la seule lutte, la seule nécessité (utilité) et la seule matière ». Par ailleurs, une opportune recension sur l’œuvre du père Georges Lemaître, prêtre enseignant à l’Université catholique de Louvain, père de la théorie du « big bang » originel, ou l’« atome primitif ».  La recension porte sur le livre de Dominique Lambert Un atome d’univers : vie et œuvre de Georges Lemaître
avec un chapitre très marquant : « Science et foi : la théorie des deux chemins » (diffusion Le Cerf, 2016, 464 p. et planches : schémas, photos…).  


Père Pierre Fournier
diocèse de Gap et d'Embrun
1948 - 2021

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