Servais, Les chemins de Compostelle. – tome 4 : Le vampire de Bretagne, [s.l.] : Dupuis, 2017, 80 p., [16,50 €].
Nous sommes là en présence d’une bande dessinée destinée à un public adulte ou à de grands adolescents. Elle offre trois niveaux de lecture et d’analyse.
Le récit lui-même est centré sur l’alchimie. Pourtant, les lieux visités et le titre de la série pouvaient se prêter à une intrigue plus spirituelle.
L’histoire générale est bien servie à la fois dans le récit et le dessin. Le château de Tiffauges (aujourd’hui en Vendée), dit de Gilles de Rais, et le bourg de la commune sont particulièrement bien restitués dans l’architecture du XVe siècle et à notre époque (p 11, 12, 16). Les animations touristiques contemporaines sont traitées de manière réaliste (p 14) ainsi que la crypte (p 14, 18) dont il faut préciser qu’elle se trouve sous une chapelle, romane d’ailleurs. Les vignettes du château dans la nuit rendent un bel hommage au site. Les représentations de la cathédrale de Chartres et de son quartier (p 33-41), de l’église de Saint-Jacques-des-Guérets (p 52) sont également très évocatrices.
Une bibliographie plutôt complète est présentée page 4. Elle comprend l’ouvrage fondamental de l’abbé Eugène Bossard, tant de fois copié. En revanche, elle oublie le non moins essentiel livre de Georges Bataille, Le procès de Gilles de Rais (Pauvert, 1965, 341 p, première édition en 1959) qui publie les actes de la procédure permettant de maîtriser la chronologie. La société les amis du Vieux Chinon, devenue la société d’histoire de Chinon, Vienne et Loire, est citée page 60.
Gilles de Rais et sainte Jeanne
Le parti pris ici est d’affirmer le lien entre Gilles de Rais (1404-1440) et Jeanne d’Arc du temps de l’héroïne. L’historien sait bien qu’il est ténu : « il aimait se battre et, près de Jeanne d’Arc, il se couvrit de gloire aux Tourelles, à Patay, même encore après la mort de l’héroïne en 1432, à Lagny » écrit Georges Bataille (Le Procès, p 51).
Servais affirme pourtant (p 44) « Il fut une figure importante de la guerre de cent ans aux côtés de Jeanne d’Arc » et (p 59) « Celui qui devint ainsi le compagnon d’armes de Jeanne d’Arc fut à la hauteur de cet honneur et ses faits d’armes ont marqué l’histoire de la guerre de Cent Ans »
La notice historique qui est publiée à la fin de l’ouvrage est fondée sur le travail de Joris-Karl Huysmans (1848-1907). Elle dit que (p 78) « très peu de sources concernent les relations qui s’établirent entre Jeanne d’Arc et Gilles de Rais ». Que Gilles de Rais se soit senti lié à Jeanne d’Arc, c’est une explication psychologique possible que corroborerait la création du Mystère du siège d’Orléans (p 80) : mais Gilles de Rais en est-il vraiment le commanditaire ? Il reste que les historiens sont plus circonspects, tel Olivier Hanne à la page 91 de son ouvrage Jeanne d’Arc, le glaive et l’étendard (Bernard Giovanangeli, 2007, 255 p) http://catalogue.diocesegap.biblibre.com/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=10186 :
« Le Seigneur Gilles de Rais, le fameux ‘Barbe bleue’ qui n’est pas encore devenu le monstre qu’il sera dix ans plus tard […] Compagnon d’armes de Jeanne, Barbe bleue fut un soldat courageux et réputé ‘très vaillant chevalier’, néanmoins on peut douter qu’il fut un ami, voire un proche de la Pucelle » car Gilles appartient aux modérés et est peut-être une créature de La Trémoille à la différence de la plupart des capitaines et des princes de l’armée de secours qui étaient liés à Yolande d’Aragon ou aux Orléans.
Le pèlerinage est d’abord une quête spirituelle
Expliquer (p 33) que « comme bien d’autres monuments religieux, la cathédrale [de Chartres] aurait été édifiée sur un tertre qui abritait un dolmen, enfoui sous la nef… » apporte-t-il quelque chose ? De surcroît, chercher (p 34) dans la cathédrale de Chartres des symboles alchimistes là où ils sont bibliques et puisent dans la tradition chrétienne est excessif. Comparer le Christ à la pierre philosophale (même page 34) relève d’un ésotérisme curieux. Cette comparaison est reprise (p 37) dans « … les Vierges noires ont un étrange rapport avec la quête de la pierre philosophale et l’alchimie […] l’enfant qu’elles portent serait alors le fruit de cette matière première, la fameuse pierre philosophale » : ne serait-il pas plutôt l’Enfant Jésus ?
Il y a dans le texte de la bulle (toujours p 34) « de grands hommes d’Église et de pouvoir étaient aussi alchimistes ! Ce n’était pas si surprenant : la quête alchimiste et la pensée religieuse ont des points communs… », une généralisation qui rend mal la réalité d’une époque : la religiosité ne relève pas forcément de la superstition ! Une imprécision du même ordre se trouve page 73 : Rocamadour est d’abord un lieu de pèlerinage chrétien depuis l’époque carolingienne au moins.
Cette bande dessinée laisse donc au lecteur un sentiment ambigu : au-delà de l’histoire qu’elle conte, elle est une belle invitation à visiter des monuments, notamment religieux.
Luc-André Biarnais archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun
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