Terre Sainte magazine : 800 ans après, saint François et le sultan. N° spécial, n° 661, juin 2019, 60 p., 6,50 €
Sur l’événement prophétique de la rencontre de saint François d’Assise et du sultan Malik Al-Kamil, à Damiette, en 1219, nous avons un excellent document réalisé par des spécialistes, responsables et universitaires franciscains. Pour Marie-Armelle Beaulieu, cette rencontre improbable entre le saint moine d’Assise et le puissant sultan égyptien a été « un échange sans concession, mais un échange » au cours même de la cinquième croisade, et ce passé nous donne d’« envisager le présent ». De Jérusalem, le frère franciscain Francesco Patton, custode de Terre sainte, fait revivre le visage de François ce rayonnant « rêveur de paix ». Historien des croisades, Giuseppe Ligato, présente « François et Al-Kamil, hommes de foi ». En ce sens, François, parfois appelé « fou de Dieu », vit une profonde expérience chrétienne selon le frère Guiseppe Buffon, de l’université pontificale Antonianum à Rome. Celeste Intartaglia, du célèbre Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (PISAI), précise opportunément les données et les enjeux de « l’islam au temps du Sultan ».
La rencontre de François et du sultan est devenue un paradigme de relation islamo-chrétienne, et plus largement de relation interreligieuse. Des étudiants palestiniens chrétiens expriment ici leur perception de l’islam et des musulmans autour d’eux en Territoires palestiniens. Leur aspiration intense est que « les richesses des religions dans le quotidien soient exposées et traitées avec sincérité » (p. 45). Mgr Pascal Gollnisch, qui visite régulièrement les pays pour l’Œuvre d’Orient, s’explique concrètement sur le fait qu’il est maintenant réaliste, mais « plein d’optimisme sur les relations entre chrétiens et musulmans ». Andrea Avveduto nous fait découvrir, en Syrie, dans l’actuelle Alep si dévastée, « une amitié aussi belle qu’inattendue » entre le mufti d’Alep, cheikh Mahmoud Assam et le frère Firas Lutfi : une amitié concrétisée dans le dialogue spirituel pour cheminer ensemble et dans l’action solidaire envers les enfants nés de violences ou sans famille connue. Le frère Stéphane Delavelle, responsable, au Maroc du centre Saint-Antoine pour accompagner des jeunes par l’apprentissage de métiers, donne son témoignage. Il a bien reçu le récent message du pape François au Maroc incitant les religieux à être « sacrement de présence ». Ainsi, pour le frère Stéphane, « la foi avance par attraction, non par récupération ». Le frère Pietro Messa, de l’Antonianum, situe bien François en son contexte et débouche sur l’actualité de sa démarche quand le pape François, qui porte le nom du « Petit pauvre » d’Assise, est allé dans les Émirats arabes unis pour signer la Déclaration commune sur la fraternité avec le grand Imam Hamad Al-Tayyeb, puis au Maroc en mars 2019. Pour sa part, le frère Gwénolé Jeusset étudie les motivations de saint François, « les raisons d’un voyage ». Il explore les interprétations : « soif du martyr ? désir d’aller au tombeau du Seigneur ? souci de convertir à la foi chrétienne ? émissaire des croisés pour des pourpalers pendant la trêve ? rencontrer des frères musulmans ? » Et le frère Gwénolé en vient à cet appel : « L’Église n’a plus l’esprit de croisade, mais l’esprit d’Assise. Nous en sommes les témoins et devons en être les acteurs ». Le frère Michael Perry, ministre général des franciscains, nous place dans l’actualité de ces 800 ans pour accomplir « ce qui plaît à Dieu aujourd’hui ».
À la fin, un éclairant tableau de chiffres, de Guillaume Genet, est donné sur les religions au Proche-Orient, de l’Égypte à la Turquie et à l’Iran, mentionnant les musulmans, les juifs, et les chrétiens. Un colloque international est annoncé pour les 25-26 octobre, à Paris, au centre Sèvres : 1219, saint François et le Sultan, fécondité d’une rencontre ?
L’iconographie de la rencontre de François et du sultan en ce magazine est très soignée : tableaux de peintres, mosaïques, icônes… Chaque artiste infléchit l’interprétation de la rencontre selon sa perception de l’événement. Le lecteur devine que la rencontre a été, à la fois pour le saint moine et pour le sultan, un seuil de transformation de soi-même au cœur d’une telle démarche risquée en tous domaines.
Dans ce remarquable document destiné à un large public, les termes forts sont ceux de fraternité, humilité, respect mutuel, réciprocité, craintes et joie dans l’échange… En ce 8e centenaire de la rencontre de Damiette, le terme « courtoisie », cher au frère Gwénolé (voir son livre Dieu est courtoisie, 1985, 193 p.), revient plusieurs fois comme porteur de l’éthique du dialogue pour honorer, au plus proche de nous, ce prophétique événement avec saint François et le sultan Malik Al-Kamil.
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Père Pierre Fournier diocèse de Gap et d'Embrun 1948 - 2021