Patrice Gueniffey (dir), Les derniers jours des rois, Paris : Perrin, le Figaro Histoire, 2014, 359 p, 19,90 €.
Patrick Demouy, Le sacre du roi : histoire symbolique, cérémonial, Strasbourg : La Nuée bleue, Place des Victoires, 2016, 288 p, 45 €.
Le bien mourir du souverain
Écrire en parallèle un compte-rendu de deux ouvrages, l’un qui « raconte le Sacre des Rois et des Reines de France » (sic le communiqué de presse) et l’autre la fin terrestre des souverains peut paraître incongru. Pourtant, la mort d’un souverain, entraîne l’arrivée d’un nouveau pour lequel le sacre apparaît comme nécessaire, immédiatement ou non. Il s’agit ici du fameux « Le roi est mort, vive le roi » qui ne fut pas proclamé lors de l’assassinat d’Henri III en 1589 (Gueniffey, contribution de Jean-François Solnon, p 166) en raison de l’absence d’un successeur accepté par le parti catholique en ces temps de guerres de Religion.
L’ouvrage qu’a dirigé Patrice Gueniffey, l’un des meilleurs spécialistes de la Révolution française et de l’Empire napoléonien, réunit les contributions de 18 historiens. En quelques pages, chacun décrit la mort d’un souverain, de Charlemagne par Georges Minois (p 29-45) à Napoléon III par Éric Anceau (p 339-354).
Le sud-est de la France n’est pas oublié avec les guerres italiennes du XVIe siècle. Ainsi, sous le règne de François Ier, la trêve de Nice de 1538 intervient alors que le roi est malade (p 131, Didier Le Fur, pages 127-140). Sous Henri II (Didier Le Fur, p 141-155) les conquêtes sont soulignées (p 142). Les relations avec la Savoie sont également évoquées à la même page, ainsi que le projet de mariage entre Christine, fille d’Henri IV, et le prince de Piémont, Victor-Amédée en 1610 (p 177, notice de Jean-Pierre Babelon, p 173-192). La campagne de 1610, avec le mouvement projeté de Lesdiguières vers le Piémont et le Milanais, est également citée (p 178).
L’apparat souvent, les rites sociaux et religieux du pouvoir, le souci de l’apparence de la bonne mort marquent le passage du souverain. Dans la préface, Patrice Gueniffey souligne que « le bien-mourir était ainsi […] l’un des moyens de conjurer ces incertitudes, au moment de s’en aller, de donner forme à la distinction fondamentale des deux corps du roi » à la fois simple mortel et chrétien d’une part et soucieux de « la continuité de l’Etat qui ‘ne meurt jamais’ » (p 19). Patrice Gueniffey s’appuie là sur les travaux d’Ernst Kantorowicz (Les deux corps du roi : essai sur la théologie politique du Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1989), hélas trop peu présents dans les bibliothèques ecclésiastiques. Plusieurs ouvrages de Kantorowicz sont cités par Patrick Demouy : Les deux corps du roi bien sûr, Le lever du roi (Bayard, 2004), et les Laudes Regiae (Fayard, 2004). Cela montre l’importance de l’œuvre de cet historien (1895-1963) dans l’historiographie du XXIe siècle.
Le sacre et le roi
Patrick Demouy, dont l’ouvrage vient d’obtenir le prix Provins Moyen Âge 2017, s’attache à présenter le sacre du roi dans sa dimension historique. Il évoque l’origine romaine du mot « roi » (p 16), le principe dynastique (p 13), l’action médiatrice du souverain (p 16), la répartition entre l’auctoritas des papes et la potestas des rois (p 18).
Les sacres du roi Pépin, en 751 d’abord puis des mains du pape en 754, répondent à la conjoncture (p 23-31) et marquent l’histoire de la monarchie y compris celle du Premier Empire et de la Restauration. Dans « les derniers jours d’Henri IV (1610) », Jean-Pierre Babelon évoque la demande de Marie de Médicis (Gueniffey, p 178-179) : « Marie presse son époux de lui accorder la marque éclatante du pouvoir, un sacrement que Catherine de Médicis et Élisabeth d’Autriche avaient reçu […] ». Patrick Demouy souligne (p 268) que « ce fut le dernier sacre d’une reine de France ».
L’ordo de Charles V et le rituel du sacre
L’ouvrage de Patrick Demouy est surtout l’occasion de publier l’Ordo de Charles V (p 176-231) « qui a servi, depuis le XIVe siècle, de modèle au sacre de tous les rois de France ». La traduction du latin est de Patrick Demouy. L’iconographie est particulièrement éclatante, parfois en double pages (p 196-197) pour « les évêques de Laon et de Beauvais installent le roi sur son siège devant l’autel ».
Les abbés Banier et Le Mascrier (Histoire générale des cérémonies, mœurs, et coutumes religieuses de tous les peuples du monde. – Tome II : Suite des cérémonies religieuses des catholiques, Paris : Rollin fils, 1741, 471 p) dans la partie intitulée « Sacre et Couronnement des Rois » (p 324-337) présentent cet épisode à la page 331 : « Le roi est présenté par les évêques de Laon et de Beauvais à l’archevêque de Reims, qui se levant de son siège, tandis que S. M. se met à genoux devant lui, chante une oraison, après laquelle le roi est conduit par les deux prélats sur son petit trône ». La première illustration de cet article est issu du tome I de cet ouvrage.
Banier et Le Mascrier rappelle que (p 324) « chez le peuple juif, […] l’oint du Seigneur, le Roi des Rois était prophétisé et attendu ». Cette expression est également utilisée par Jean-François Solnon au moment de l’assassinat d’Henri III le 1er août 1589 : « assassiner l’oint du Seigneur est alors jugé plus qu’un crime : c’est un sacrilège, le sacre à Reims ajoutant à l’autorité royale une légitimité religieuse ».
Cela montre bien les liens entre l’Église et l’État durant l’Ancien Régime et comment cette idéologie, devenue figée pour une part, a ouvert les bouleversements de la dernière décennie du XVIIIe siècle.
Luc-André Biarnais archiviste du diocèse de Gap et d'Embrun
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