L’Église aujourd’hui selon Dom Samuel Lauras

Dom Samuel Lauras, Fils de lumière en temps d’épreuve, Perpignan : Artège, 2019, 201 p., 16,50 €.

Propos d’un moine pour demeurer unis dans l’adversité, tel est le sous-titre très explicite. L’« adversité » est sous nos yeux dans les mésententes entre sensibilités ou convictions différentes, entre générations, dans les choix pratiques, ecclésiologiques, pastoraux, ou spirituels : ces conflits dans l’Église. Dom Samuel Lauras préconise la « disputatio » au sens théologique de l’échange vrai et constructif pour « construire la communion » (p. 77). De ce fait, dans la dédicace, il s’adresse « aux fils de Lumière qui, dans l’Église, disputent ensemble et cherchent la Vérité » (p. 7). S’inspirant notamment de la Règle de saint Benoît, il désigne une issue spirituelle, exigeante mais féconde, car « Vous êtes des fils de la Lumière » (1 Th 5,4-5 ; p. 181). Il s’exprime sur un ton très personnel, chaleureux et imagé. Cistercien-trappiste, il s’appuie sur son expérience relationnelle de trente-cinq ans de vie communautaire monastique, à l’abbaye de Sept-Fons, puis, depuis 2002, comme abbé, en République tchèque, à Notre-Dame de Novy Dvur. L’auteur fait allusion à saint Augustin, à ses Confessions. Comme Augustin, Dom Samuel veut placer sous le regard de Dieu sa jeunesse de « bâton de chaise », à vingt ans, loin de Dieu, puis sa conversion, son entrée dans la vie monastique, et sa responsabilité actuelle de père abbé pour nous en offrir la sagesse de la raison, de l’Évangile, et du dialogue sincère.

Dom Samuel Lauras a déjà publié sur les évolutions de l’Église : De tout cœur sur l’avenir chrétien de notre temps (Ad Solem, 2011) ainsi que sur la vie spirituelle d’un jeune moine : Qui cherchait Théophane ? (réédition Parole et Silence, 2017) et, par ailleurs, sur l’articulation entre vie spirituelle et exigence de la relation fraternelle : Comme un feu dévorant, l’exercice de la miséricorde (Artège, 2016). Ici, l’auteur croise les deux voies, de la vie en Église et des sources spirituelles. Il constate : « dans la gestion de nos conflits d’Église, nous risquons de tomber dans plusieurs ornières. Défendre plutôt la vérité et la justice ; on ne cédera pas. Viser plutôt la charité et la paix ; on pourra tomber dans le piège de la démagogie » (p. 79).

En Église, les divergences de perspectives sont nombreuses quant au regard sur le passé, sur l’origine du « séisme », sur l’après-concile. Pour cette relecture, Dom Samuel met en place les fondements bibliques, philosophiques, théologiques, et mystiques : sur Dieu-Lumière, le mal incontournable, l’Église à aimer, la communion à recevoir et à construire, l’Esprit Saint qui parle aux Églises. Un leitmotiv du père Samuel est de « savoir disputer, sans se disputer » avec l’ « ami-ennemi » qui est un frère (p. 41, 48, 198). Pour cela, avec empathie et persévérance, il convient de se mettre à la place de l’autre qui vit ses propres difficultés, ses obscurités, et ses espérances : « J’essaierai de rejoindre mes frères qui se conduisent en ennemis, en me mettant à leur place » (p. 35).

L’auteur propose des « phares dans la tempête ». Pour assumer les « affrontements intérieurs », le chemin de la sainteté quotidienne est à vivre « près de Dieu, dans sa maison », dans l’attention à l’autre selon l’exhortation du pape François sur la sainteté pour interpeller nos interlocuteurs : « Gaudete et exultate, chers frères ennemis ! » (p. 98). La « méthode du Saint-Esprit » est aussi précieuse : l’Esprit Saint accueilli dans nos tâtonnements nous inspire pour les discernements nécessaires, et donne élan à notre liberté pour agir vers le bien commun (p. 127). Pour assumer les « affrontements extérieurs », la posture indispensable est de « garder une bonne opinion des autres, sans jugements prématurés » (p. 159), et « apprendre à régler entre nous nos conflits internes ».

En conclusion, pour ouvrir sur un remède spirituel, et, ensemble, « marcher vers la Lumière », Dom Samuel donne encore des repères : s’ancrer dans la confiance en la Vierge Marie car, avec elle, nous entrerons dans une réelle et indispensable humilité, accepter nos lumières et nos ombres respectives, vivre une vraie « douceur plus forte que la force ». Pas de « bataille rangée qui nous tente », mais, « en maturité spirituelle », être « des chrétiens unis autour de leur Seigneur, construire l’Église, et, en Eglise, avec la grâce du Christ, conjuguer vérité et charité, justice et miséricorde » (p. 202). Ayant été professeur de philosophie, Dom Samuel approfondit le délicat sens dialectique des notions de vérité (avec petit v et grand V) et de charité (avec petit c et grand C ) pour s’efforcer vivre « l’Amour et la Vérité sur le fil du rasoir » (p. 192). Car « se tenir dans la Vérité de Dieu et dans la Charité de Dieu, c’est l’ambition de tout chrétien. C’est le fruit d’un don, mais avec nos frères […]. La Vérité et la Charité de Dieu, parfaites en soi, habitent ceux qui s’ouvrent à ces dons comme vérité et charité [humaines] imparfaites » (p. 194). Dom Samuel conclut en commentant l’enjeu concret des Béatitudes : « Nous ne sommes que des hommes… Le Christ a pris notre péché. Heureux les miséricordieux, les artisans de paix, les persécutés pour la justice. le Royaume des cieux est à eux ».

Cet ouvrage est, certes, abondant, mais il offre tant de points de réflexions de sagesse relationnelle et spirituelle, de références théologiques, exégétiques, patristiques, et philosophiques… Il pose de fortes questions tant pratiques que spirituelles. Il est particulièrement attachant par la personnalité de l’auteur et de ses riches horizons socio-culturels, et spirituels. Il trace ainsi un utile chemin pour assumer humblement les conflits avec la force spirituelle donnée par le Seigneur aux uns et aux autres. Car « les chrétiens sont invités à un marathon persévérant » (p. 83). Dom Samuel stimule à chercher à la fois la Vérité et la Charité de Dieu vers la fraternité collaborative pour le Royaume du Seigneur.


Père Pierre Fournier
diocèse de Gap et d'Embrun
1948 - 2021

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